Ce tome contient les 2 premières miniséries en 4 épisodes du cycle "Dark Age" (book 1 & book 2), ainsi que le prologue paru dans "Astro City/Arrowsmith". L'histoire se termine dans The dark age 2 - Brothers in arms (miniseries en 4 épisodes Book 3 & Book 4). Il est possible de commencer la série par ce tome, sans risque de s'y perdre.
En 1959, dans Bakerville (un quartier d'Astro City qui évoque Harlem ou Brooklyn), Charles et Royal Williams (2 enfants) déambulent dans les rues. Charles vole une pomme à un étalage pour le plaisir de braver l'interdit. Non loin un combat titanesque se déroule entre une équipe de superhéros (Honor Guard) et un groupe de supercriminels appelé Pyramid. Ces enfants seront à jamais marqués par cette journée. Royal Williams se consacre à une vie de petit criminel, des vols divers et variés, en se tenant à l'écart du crime organisé et des meurtres. Charles Williams, son frère, devient policier à Astro City et lutte à sa mesure contre les crimes et l'insécurité. Les 2 ne peuvent que regarder impuissants l'augmentation de conflits entre surhumains, ayant des conséquences sur le commun des mortels, sans pour autant se soumettre aux lois de l'état. À cette époque, Richard Nixon est président des États-Unis, la guerre du Vietnam divise l'opinion publique, de nouvelles cultures urbaines apparaissent, des émeutes se produisent dans les grandes cités, accompagnées de pillages.
Avec cette histoire, Kurt Busiek se lance dans une grande fresque en 16 épisodes (livres 1 à 4), avec son illustrateur habituel Brent Anderson le metteur en couleurs attitré Alex Sinclair et les couvertures toujours mémorables d'Alex Ross. Comme à son habitude dans cette série, Busiek opte pour un ton narratif le plus prosaïque possible. Les superhéros sont une réalité, ils détruisent beaucoup de choses quand ils se battent, et les humains n'ont pas de prise sur eux. Il s'agit d'un élément qui fait partie de la vie quotidienne, inéluctable, inévitable, banal, mais aussi exceptionnel. Dans cette optique, Busiek s'attache avant tout aux faits et gestes de Charles et Royal : ils sont le point focal du récit. Royal a élevé sa capacité à se faire oublier au rang d'art, ce qui lui permet de se tirer de la majeure partie des situations où il risque de se faire prendre. Charles soutient son frère (en fermant les yeux), se met en ménage avec Darnice (une chercheuse d'or au sens figuré du terme) et effectue son travail de son mieux. Charles et Royal deviennent vite très attachants, chacun dans leur genre. Ce sont des individus normaux, limités par une réalité sociale réaliste, sans être misérabiliste (et puis j'ai apprécié d'apprendre l'expression "gold digger" dans ce contexte). Il s'agit là de l'aspect de ces histoires qui peut démotiver certains lecteurs : très terre à terre, presque banal (dans son traitement, parce que les 2 frères vivent quand même à Astro City).
Le mot "fresque" commence à prendre son sens avec les superhéros et leur évolution au travers de ces années 1970. Kurt Busiek reprend des thèmes qu'il a souvent abordés tels que la radicalisation des superhéros dans ces années là (ils commencent à tuer, à être plus brutaux, plus revendicatifs au plan social). Mais cette fois-ci, Busiek ne rabâche pas les mêmes rengaines, il se montre plus nuancé, et par voie de conséquence plus intéressant. Si l'un des thèmes abordés est bien le désamour de la population pour ces individus de plus en plus menaçants, et pourtant sensés les protéger, il développe la conséquence de l'existence de supercriminels, de conflits entre individus doués de puissance de destruction élevée, et la coexistence douloureuse avec les homos sapiens normaux. Il trouve de nouvelles choses à dire, sans plagier les autres scénaristes ayant déjà abordé ce sujet.
Le mot "fresque" acquiert une ampleur encore plus grande avec l'intégration d'événements historiques réels tels que la guerre du Vietnam ou le Watergate. Busiek entremêle adroitement l'évolution des superhéros avec l'évolution de l'image que les étatsuniens ont de leur patrie, sa dégradation et la fierté de plus en plus relative qu'ils éprouvent pour elle. Cet aspect de la narration est traité de manière sophistiquée en arrière pan, avec le Silver Agent comme allégorie de l'innocence bafouée. Au fil des pages, Busiek n'écrit plus simplement l'histoire de 2 frères, ni même une métaphore sur l'évolution des superhéros, ni même une évocation critique des actions d'un peuple, mais il construit discrètement une réflexion sur les valeurs morales de l'individu, rapportées aux actions d'un pays.
Le style de Brent Anderson a un peu évolué pour être un tantinet plus lâche, moins obsessif. Il reste dans un registre également très prosaïque, réaliste, sans être photographique, sans avoir l'obsession de la minutie pour chaque détail. Pour commencer, il y a les tenues vestimentaires des gens ordinaires. Anderson a bien fait son travail de recherche, et les vêtements sont garantis années 1970 (ah ! ce beau col en fourrure synthétique blanche, magnifique). Ensuite il y a les modèles de voitures également garantis d'époque. N'oublions pas les différents styles architecturaux qui gardent la cohérence de la cité d'une décennie à l'autre. Tout cela est mis en page sobrement, avec 4 à 6 cases rectangulaires par page en moyenne.
Il y a ensuite la dimension graphique liée aux superhéros et supercriminels. Les pages de croquis préparatoires montrent qu'Alex Ross s'est investi dans la conceptualisation de l'apparence des nouveaux personnages qui apparaissent. Le résultat est très convaincant. À eux 3 (Busiek, Ross et Anderson), ils font naître sous les yeux du lecteur de nouveaux personnages qui combinent des éléments de superhéros déjà existants (facile de repérer l'évocation du Punisher, des Sons of the Tiger, du Ghost Rider, etc.), tout en comprenant des éléments originaux qui leur donnent une identité propre, loin de tout plagiat. Chacun d'entre eux mériterait une minisérie. Je suis preneur d'une minisérie consacrée à Simon Magus (sorcier new âge, doublé d'un personnage médiatique très charismatique) ou sur Energy Brown (sorte de croisement entre Cleopatra Jones et Coffy). En termes de créativité, il s'agit d'une prouesse peu commune. Anderson introduit également quelque personnage de son cru, tel l'inénarrable Joey Platypus dont l'apparence est basée sur celle d'un ornithorynque (inoubliable). La mise en page simple permet également de conserver un niveau de lisibilité satisfaisant, sans donner l'impression que le récit part dans tous les sens. Cette rigueur s'avère nécessaire pour éviter à la narration de se disperser dans les affrontements à grande échelle (dignes d'un crossover Marvel ou DC).
Avec ce ton toujours un peu nostalgique et posé, Kurt Busiek et Brent Anderson racontent une histoire mêlant plusieurs niveaux jusqu'à devenir une polyphonie dont chaque partie enrichit ou renforcent les autres, dépassant aussi bien le roman de 2 frères, que l'évocation des années 1970, ou le genre "superhéros". L'apport d'Alex Ross et le travail de Busiek et Anderson offrent au lecteur un monde pleinement réalisé, très substantiel, dont Marvel ou DC aurait tiré au moins une dizaine de miniséries supplémentaires.
Astro City dans l'ordre de parution - (1) Life in the big city, (2) Family album, (3) Confession, (4) The tarnished angel, (5) Local heroes, (6) The Dark Age 1 - Brothers & other strangers, (7) The Dark Age 2 - Brothers in arms, (8) Shining stars