En tenant compte de la longévité s’étalant sur plusieurs décennies des super-héros, des nombreux runs de divers artistes au fil du temps et des reboots et relaunches qui ont pu parsemer leurs publications; il est bien souvent difficile d’établir l’émergence d’un comics. J’entends par là la naissance de son héros, son univers et ses personnages. On prêtera volontiers quelques bonnes idées à certains, on retiendra quelques grands événements marquants ici et là qui pourront être amené à la réutilisation dans de futures histoires... Mais il est difficile de s’appuyer sur un seul et unique titre qui pourra faire figure de base évidente pour tous.
Et pourtant, c’est ce que Frank Miller et David Mazucchelli ont réussi.
Avec Batman Année Un, ils ont prit le pari de délivrer une véritable origin story au Chevalier Noir. A lui, mais aussi à tout son univers. Si je mentionnais certains hauts faits retenus au fil des ans (au hasard : la mort de Robin tué par le Joker, lire Un Deuil Dans La Famille), ici c’est l’ensemble des éléments qui définissent l’univers de la Chauve-Souris. L’implacable croisade mue par une volonté farouche, Gotham City la ville en proie à la criminalité et à la corruption de ses forces de l’ordre...
Pour se faire, la narration nous est dépeintes par deux protagonistes dont la prise de parole à travers leurs différents point de vue s’enchaine ; Bruce Wayne et le lieutenant Gordon. Figure de proue de l’univers du Caped Crusader, on découvre ici un aspect humain parfaitement mis en avant. Livré à lui-même dans une ville qu’il ne connait pas, seule plante vierge dans un jardin gangréné, il aura fort à faire pour créer sa place. Partageant la même idéologie de défense du bien que son collègue masqué, Gordon est peut-être le premier héros de Gotham. La pression hiérarchique qu’il subit, ses craintes quant à la future naissance de son fils (“un innocent dans une ville sans espoir”)...jusqu’à sa brève liaison avec Sarah Essen, nous permettent d’apercevoir un homme qui a ses failles, ses faiblesses, accentuant le caractère prondément humain du personnage. Une excellente découverte du récit, qui; s’il lui donne peut-être un peu trop d’importance par rapport à Batman, nous assure d’une réelle profondeur et d’un fort attachement au personnage.
Batman, de son côté, s’illustre comme un héros en devenir, encore balbutiant. Il est difficilement envisageable de le voir autant mis à rude épreuve face à trois délinquants, encore plus lorsqu’il commet des erreurs dans ses interventions ! Là encore, l’aspect humain est très largement mis en évidence, celle d’un homme dont les capacités semblent encore trop limitées pour accomplir son but, mais qui n’aura pourtant de cesse de se surpasser. L’image volontairement désinvolte que se prête Bruce Wayne (celle d’un playboy milliardaire oisif) tranche radicalement avec la droiture d’esprit et la ligne de conduite de Batman. Une opposition qui n’aura de cesse de s’exercer plus tard, sorte de première parade pour protéger cette double identité.
Un secret dont Gordon ne tarde pas à dessiner les contours, sans que l’on ne sache vraiment s’il devine au final l’exactitude des faits. Qu’importe, puisqu’il a avec lui un allié et un ami à présent.
Plus en retrait, on mentionnera également Catwoman, dont l’émergence est moins détaillée et peut-être, de fait, moins évidente. Une certaine volonté d’être pleinement distinguée de Batman laisse dessiner leurs futures idylle, mais le récit en reste là, sans qu’une rencontre franche ne se fasse réellement. Du reste, on retrouve des figures bien connues, comme le Romain (que l’on découvrira d’avantage dans Un Long Halloween et Amère Victoire), ou encore Alfred et son flegme à toute épreuve. Bien que le comics ne fasse pas cas d’un réel ennemi, le tout s’achève sur la mention du Joker, premier adversaire et némésis incontournable du Protecteur de Gotham.
Du côté des dessins, le travail est d’une qualité certaine, harmonieux, le ton de couleur pastel participant à l’impression d’archive du comics. On est en possession d’une histoire ancienne, puissante, qui portera à elle seule toute la continuité du parcours du Batman. Un rythme efficace, une ambiance de polar noir qui a toujours su donner ses lettres de noblesse au super-héros. Batman Année Un est un incontournable dans la chronologie du Chevalier Noir, posant toutes les fondations qui deviendront les éléments phares par la suite.