Deux tours similaires, deux buildings identiques ; identiques au premier regard seulement. C'est ce qui nous apparaît clair au premier coup d'œil lorsque nous comparons les deux ouvrages de Naoki Urasawa que sont Billy Bat et Monster. Deux monuments qui requièrent qu'on lève la tête à s'en rompre les cervicales si l'on veut en apercevoir la cime. Le plan de construction fut le même dans les deux cas. Sans non plus usiner au point de pondre les mêmes œuvres en série, Naoki Urasawa suit une méthode, sa méthode. De ses ouvrages terminés, on y remarque la patte de l'artiste ; un style partagé avec nul autre. Cependant, aussi unique puisse être la structure de ce qu'il érige, cette dernière présente des carences qui sont autant de malfaçons signées Urasawa.
Si les deux grattes-ciel nous apparaissent identiques, on juge assez tôt que l'architecte aura lésiné sur les matériaux de construction dès lors où il fut question de bâtir la réplique de son premier succès. Monster restera toujours bien haut perché dans les cieux, juché sur l'ultime strate de ce qui se fait de meilleur. Ni les intempéries ni la guerre ni un quelconque aléa ne sauraient ternir sa grandeur. Billy Bat, lui, suggère la grandeur par effet d'optique, sa magnificence supposée ne provenant alors que d'une forme de mystification savante. Au premier coup de vent, l'édifice s'effondrera. Du vent hélas, j'en aurais brassé à force de soupirer.
En dépit de l'altitude jusqu'à laquelle se sera élevé Billy Bat - ne fut-ce qu'un court instant avant de s'écrouler -, l'œuvre n'aura jamais été au-dessus de toute critique. Au contraire. Bien au contraire.
Plus qu'avec aucune des autres œuvres de Naoki Urasawa, Billy Bat partage des proximités certaines et criantes avec Monster. Le fantastique y fait certes son nid, mais le manga ne se limitera pas qu'à ça. Pour un peu, cet volet fantastique serait presque anecdotique comparé au procédé narratif tout droit sorti de la méthode Urasawa.
L'idée que la Genèse de l'intrigue survienne depuis une bande-dessinée n'est pas sans rappeler le conte pour enfant «Le Monstre sans nom» à l'origine de Monster.
Malgré sa proximité parfois évidente avec Monster, Billy Bat a son identité propre. L'entrée en matière est clairement signée Naoki Urasawa. Monsieur Naoki Urasawa. Difficile de ne pas avoir l'eau à la bouche à la lecture du premier chapitre. L**'auteur est homme à réussir ses entrées. C'est une autre histoire pour ce qui est des sorties**, mais chaque chose en son temps ; il faut savoir savourer un grand cru avant qu'il ne devienne piquette - si ce n'est vinaigre. La fibre du polar pouvait se lire sur les tapisseries desquelles Billy Bat était recouvert en dedans. Un nouveau roman Noir s'écrivait d'ici à ce que ne pète la mine du crayon et qu'il fallut faire avec les moyens du bord pour bricoler la suite. Or, la suite bancale, elle n'arrive pas qu'en fin de parcours ou même à mi-chemin mais très tôt dans le scénario.
Déjà que la déconnade scénaristique - poussée dans ses derniers retranchements - avait atteint des latitudes jouxtant les confins inexplorés de l'échec d'écriture avec 20th Century Boys, elle part ici de très loin pour peut-être s'éloigner plus encore qu'elle ne l'avait fait jadis. Le Fantastique à très faible dose, bien manié, peut avoir vite fait d'emmener son lectorat jusqu'au Paradis aussi longtemps que l'idée soit bonne. Mais une bifurcation ou même ne serait-ce qu'une modeste déviation de parcours et c'est l'Enfer assuré. Cette lecture de Billy Bat, vous ne la finirez pas avec une auréole au-dessus du crâne ; tenez-le-vous pour dit.
Si du temps de 20th Century Boys, ce qui relevait de l'irréel n'était qu'anecdotique, accessoire, en marge de l'intrigue, le reste du scénario reposait sur un socle qui se voulait - bon an mal an - plutôt réaliste. Mais ici, tout repose sur cette créature fantasque qu'est Billy Bat, sorte de chauve-souris aux relents mystiques qui serait à l'origine de tout et de toute chose pour une raison qui nous échappera jusqu'à la fin de notre lecture. À quoi bon une enquête où chaque piste mène systématiquement à la même personne ? Une personne dont personne ne comprend le sens ni l'origine et sur laquelle on ne peut avoir d'emprise.
Alors qu'avec ses œuvres précédentes, Urasawa était resté sagement à sa place à ne pas se mêler d'éléments historiques réels, à ne faire - au mieux - que broder sur des fictions tenant du plausibles au regard de ce que fut la réalité d'une époque, il n'hésite cette fois pas à faire coïncider la chronologie officielle et la trame de son manga. J'ignore si l'implication de Takashi Nagasaki comme co-scénariste aura pesé dans la balance et à qui incombe la responsabilité dernière de cet échec, mais l'idée n'était pas des plus avisées. Alors le voilà qui s'inspire de l'affaire Shimoyama comme cela avait été fait avec Ayako pour situer le point de départ des deux œuvres. Urasawa est vraiment ce zélé serviteur de Tezuka à chercher à lui faire honneur à chaque occasion. Avec Billy Bat plus qu'avec aucune de ses autres œuvres, l'auteur criera son respect au maître comme il ne l'avait jamais fait avant.
L'Histoire avec un «H» majuscule est donc impliquée. Selon la précaution avec laquelle elle sera maniée, le résultat pourra osciller entre le génial et le cataclysmique. Pour vous, lecteur de cette critique, qui avez vu la note attribuée avant de lire, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de vous en préciser l'issue.
Vous apprendrez que Billy Bat est derrière toutes les conspirations de ce monde. Shimoyama, Kennedy, l'alunissage, François-Ferdinand, le onze Septembre..... même le procès de Jésus Christ. J'avais prévenu ; la déconnade part de très loin et ne manquera pas de se perdre en route. L'intrigue partira comme un coup de chevrotine à partir dans les directions sans viser où que ce soit précisément. Comme un tir de chevrotine, le carton auquel aboutira Billy Bat sera brouillon et disgracieux.
Le révisionnisme japonais, c'est quand même quelque chose. Et pas quelque chose qui ne se fait qu'à moitié j'en ai bien peur. Du récit de Judas Iscariote à Hattori Hanzô et Francisco Xavier en passant par Lee Harvey Oswald, sans parler de l'invraisemblable histoire de mariage interracial entre un riche industriel blanc et une ouvrière noire dans la Floride ségrégationniste, Urasawa cherche à nous perdre. Mais lui non plus ne retrouvera pas son chemin. Au gré de ses multiples détours sans queue ni tête, c'est son manga qui lui échappe, et nous avec.
Et la ritournelle anti-raciste - devenue une convention quasi-obligatoire chez Urasawa - reprend. L'auteur nous ressort les couverts à chaque fois. La pitance n'est déjà pas bien fameuse mais pour avoir enchaîné Pluto et Billy Bat d'une traite, on est très vite repu à force. Oui, «à force», parce que c'est de force qu'il nous fait ingurgiter ses contes moralisateurs et faussement larmoyants ici déballés. Je reconnais bien là la fibre Osamu Tezuka.
De tous les gangs du Bronx Kevin et Timmy se font attaquer par des suprémacistes blancs avec des T-shirts sur lesquels figurent d'énormes croix gammées avec lesquels ils se baladent en pleine lumière dans la rue. Si quelqu'un parvient un jour à trouver un spécimen pareil dans la nature, qu'il me le garde de côté histoire que je le mette sous verre.
Ah, l'anti-racisme à la sauce Urasawa, c'est presque aussi drôle qu'une loi de presse liberticide votée en France.
Alors que je poursuivais le fil fébrile du récit, je me souvenais de Monster. Pour relativiser le pire, on pense spontanément au meilleur. J'étais alors pris comme d'un soudain vertige. Les deux œuvres sont du même auteur, ça ne fait pas un pli, des dessins à la narration, tout est signé Urasawa dans les deux cas. Tout, sauf la qualité d'écriture et surtout l'ordre du récit devenu cette fois bordélique au dernier degré.
La parenthèse shinobi aura été toutefois prenante. Insuffler un tel rythme aura cependant des conséquences lorsque celui-ci s'estompera au point de nous laisser à penser que ce qui suit est traînarde et morne. Quand on nous habitue à plus, on n'aime pas retrouver moins. Urasawa aura en tout cas prouvé - si preuve devait être faite - qu'il savait mettre de l'action dans ses œuvres. Une action gérée ici intelligemment, cela va sans dire.
Puis Billy Bat prend la tournure d'un règlement de compte méta - outrepassant le cadre même permis par son œuvre. Situons d'abord l'origine d'une bisbille qui aura amené l'auteur à aiguiser ses crocs.
Disney - en tout cas ses studios - ont tout bonnement plagié le manga Le Roi Léo de Osamu Tezuka, l'idole de Naoki Urasawa. Idole, c'est peu dire. Urasawa lui voue une admiration sans borne à la limite de la vénération religieuse. Son personnage du docteur Tenma dans Monster partage le même nom et le même titre que le docteur Tenma de Tetsuwan Atom (Astro le petit robot). Tetsuwan Atom dont Urasawa s'attela à sa ré-adaptation avec Pluto. Les références au maître sont légions rien que dans Billy Bat. Alors... faire d'un personnage très lourdement inspiré de Walt Disney un antagoniste majeur de Billy Bat, c'est la revanche posthume de Tezuka portée depuis le tombeau par l'un de ses lointains disciples ; le plus dévot d'entre eux.
Une dévotion de cet ordre, c'est quelque chose que je respecte et même que j'estime ; je n'en veux pas à Urasawa pour le règlement de compte. Les larves du studio Disney peuvent en tout cas s'estimer heureux car, en d'autres temps, Urasawa aurait été jusqu'à décapiter du Gaijin en série pour venger l'honneur bafoué de son maître défunt. O tempore, mores. Si cela pouvait nous éviter du Marvel, du Star Wars et de l'animation 3D par dizaines chaque année, je serais prêt à affûter moi-même les katanas d'ici à ce que Justice soit rendue au fil de l'épée.
Mais contrairement à Naoki Urasawa, j'estime trop Walt Disney - l'homme comme le créateur - pour acquiescer gentiment à la calomnie insidieuse dont il est ici victime. C'était parti d'un règlement de compte, ça a fini en lynchage mesquin. N'oublions pas, messires Urasawa et Nagasaki, qu'Osamu Tezuka était un grand amateur des créations de Walt Disney au point de s'inspirer de ces dernières et que ce brave Walt Disney ne saurait être tenu responsable de la défaillance de ses studios après sa mort.
La suite de la trame retombe dans les habituels travers de la méthode Urasawa. Se succèdent pêle-même des révélations en cascade qui n'ont aucun impact en vérité et dont tout le monde - le lecteur le premier - se fout outrageusement. J'aperçois les lignes du schéma narratif à l'œil nu là où elles devraient être parfaitement imperceptibles. Ça s'apparente plus à du bricolage que de la construction, ce qui en résulte n'est pas bien solide, on le devine aisément. C'est d'ailleurs le plus logiquement du monde que tout se cassera la gueule.
Chose rare chez Urasawa - et encore une fois regrettable - les innombrables personnages secondaires présentés ici seront en proie à la fadeur, beaucoup sur le plan du caractère ne sont que des produits recyclés de compositions précédentes signées du même auteur. Le procédé me révulse en règle générale mais m'étonne plus encore ici ; je n'aurais jamais cru ça d'Urasawa.
J'ai le sentiment que, manga après manga, sa verve créatrice s'épluche une couche après l'autre. Ses œuvres perdent en puissance et en intensité l'une après l'autre ; je ne saurais que redouter une prochaine composition signée Urasawa. Lui qui planait si haut a touché terre et risque de d'y finir enseveli profondément s'il continue sur la trajectoire artistique qu'il s'est tracée.
Je sais que Billy Bat tient parfois au fantastique, mais ça n'excuse pas tout. Quand un étranger aux dents longues arrive dans un village, que dans ce même village, trois maires consécutifs sont retrouvés morts trois jours consécutifs ; peut-être faut-il commencer à enquêter. Il a pris du plomb dans l'aile le polar sauce Urasawa. Même sous crack, le premier apprenti-détective venu aurait élucidé l'affaire. Les villageois eux, attribuent le phénomène du triple homicide à une malédiction. Plus lunaire encore, ils se mettent tous à creuser des trous jours et nuits à la recherche d'un parchemin de légende. Même dans Spirale les villageois perdaient la raison moins rapidement ; d'autant qu'eux avaient de meilleures raisons de céder à la folie.
Pourquoi personne n'a donc appelé la police ? Un coup de fil, un seul et l'affaire était rendue.
Dans la même veine, le coup des soviétiques qui envoient un vieux japonais malade sans entraînement spatial sur la Lune, c'était pas mal non plus dans le registre de la connerie assumée. Qu'elle soit dite ou dessinée avec gravité, une ânerie reste une ânerie indépendamment de la manière dont on l'exprime. Le plus sérieusement du monde, le duo Urasawa-Nagasaki auront multiplié ces dernières au fil de leur récit.
Urasawa aura quand même méchamment perdu de son doigté à l'écriture à moins que son co-scénariste ne lui ait mis des bâtons dans les roues. Chaque tome de Billy Bat était la nouvelle étape d'une chronique d'un désastre annoncé.
Quand Albert Einstein a commencé à parler de voyage temporel à Zofuu (Oui... c'est aussi con que ça en a l'air), j'ai compris que je n'attribuerai pas une note au-dessus de la moyenne pour Billy Bat. Je comprends en tout cas la raison pour laquelle Einstein refuse à Zofuu l'utilisation du voyage temporel. Pour moi qui ai vu Steins;Gate 0, interdire aux japonais de fouiner dans les affaires temporelles me paraît relever de la plus stricte affaire de salubrité publique.
Bien entendu, Urasawa ne se renouvelle pas, sa méthode ne souffrant apparemment d'aucune variable ajustable ; car - encore une fois - aura lieu le prévisible passage de témoin pareil à celui de Kenji vers Kanna dans 20th Century Boys, le premier protagoniste n'étant évidemment pas mort, son ombre planant jusqu'à tardivement d'ici à ce que l'auteur le révèle des années plus tard.
Pour qui connait la méthode Urasawa, on peut prédire la prochaine étape de son schéma narratif et donc une partie du scénario avec une précision de métronome. Nul besoin de Billy Bat pour voir l'avenir, il suffit d'avoir lu le reste des ouvrages de son auteur.
Puisque la fête à neuneu est à présent totale et que tout le monde se finit au champomy, il ne manquait que l'introduction d'Adolf Hitler dans l'équation. C'est finalement chose faite alors qu'il pointe le bout de son nez et associe son image à celle de Chuck Chulkin/Walt Disney qui sera ici son complice, bien évidemment.
Urasawa a la vengeance mesquine. Mesquine et stupide. C'est franchement digne d'un élève de maternelle.
Naoki Urasawa n'aurait pas associé son nom à Billy Bat que j'aurais pu penser que l'œuvre était ici une contrefaçon. Toute la nomenclature propre à son écriture y passe mais l'effet attendu ne vient pas. Billy Bat, c'est Urasawa sans Urasawa. Je ne saurais dire si écrire en tandem a émoussé la pointe de sa plume, mais je ne le retrouve pas en le voyant pourtant partout dans sa narration.
L'histoire du Billy Bat noir et du blanc n'a ni queue ni tête et cherche à créer de la profondeur en restant en surface. Urasawa aime bien faire traîner les mystères, mais quand ceux-ci n'ont rien d'intéressant à cacher, les révéler - en plus si tard - ne peut de toute manière que décevoir.
À l'impéritie se mêle progressivement l'absence de clarté. L'histoire de Billy Bat ainsi que ses constantes - et inconstantes - déviations rendent la lecture plus nébuleuse et incompréhensible chapitre après chapitre. Urasawa a trop tiré sur la corde au point de finir pendu avec. L'homme est un narrateur au talent immense qui a eu une excellente histoire en tête avec Monster. Puis une bonne avec 20th Century Boys. Puis une correcte avec Pluto. Et maintenant... celle-ci, qu'il aura fallu en plus écrire à quatre mains. Aujourd'hui, sa narration ne suffit plus à porter le boulet du scénario de Billy Bat qui, à force de s'agiter, aura entraîné l'œuvre vers des bas-fond éditoriaux bien peu avenants. Les auteurs se seront méchamment compromis en s'obstinant à écrire Billy Bat sans cesse plus longtemps.
Puisque Urasawa et Nagasaki ont pu produire le plus immense complotisme de fiction, je vais y aller moi-même de ma thèse et prétendre que Larry Silverstein, envoyé comme émissaire de l'État profond américain, aurait commandé aux auteurs d'écrire le manga de sorte à discréditer les thèses sérieuses sur les implications douteuses dans les affaires non élucidées advenues autour des États-Unis ce siècle dernier. Si tout le monde peut y aller de sa théorie sur les événements, pourquoi pas moi après tout ?
On peut dire que le manga aura continué son sillon en roues libres et sans les mains pendant bien huit tomes au moins. Mais les problèmes avec Billy Bat ont commencé bien plus tôt, le moteur toussait déjà avant. Le défaut de fabrication se situe à la base avant de se retrouver dans chaque pièce.
Finalement, nous ne saurons jamais trop ce qu'était Billy Bat et, au fond, nous nous en contenterons. Si ce n'est servir à nous embrouiller, la révélation finale n'aura contribué à rien d'autre. Il n'y avait pas deux Billy Bat mais trois et les trois viennent d'une seule entité elle-même issue d'une météorite...
Ce manga est un long suicide, celui de ses auteurs. De leur crédibilité en tout cas.
Et en guise de conclusion, une morale pacifiste naïve et mielleuse premier choix. Servie avec son assortiment de couleuvres (Dragon Ball) pour que vous avaliez bien le tout. Avec une fin pareille, l'incompréhension précède la confusion et la confusion alimente la colère. La méthode Urasawa a ici tiré ses dernières cartouches et elles étaient à blanc ; c'est sans doute pour cela que je n'ai pas été touché le moins du monde par ce que j'ai lu.
P.S : Ça aura mis le temps avant que la comparaison ne m'apparaisse limpide, mais Billy Bat fonctionne finalement comme le Toth de Boingo.