"Je ne m'envoie pas en l'air à la légère, mais là ..."
(critique réécrite après la parution du tome 8)
Je l'avoue, j'ai mis du temps à accrocher à Billy Bat, et seule ma foi (presque) inébranlable en Naoki Urasawa m'aura poussée à acheter la suite de la série, mais je ne le regrette finalement pas. Parce que Billy Bat fait partie de ces oeuvres ambitieuses qui noient le lecteur sous une pléthore de personnages et d'époques différentes dès le début, dans un gigantesque patchwork mondial qui finit par devenir cohérent.
Tout y passe, de l'époque des shinobi à la mort de Jésus, sans oublier la conquête de la lune, même si l'intrigue principale se déroule aux États-Unis et au Japon d'après-guerre. L'essor de la bande-dessinée outre-Atlantique, la question raciale, l'assassinat de Kennedy, la hantise "des Rouges", l'asservissement économique du Japon vis-à-vis de l'Amérique ou encore les JO de Tokyo, les sujets brassés sont aussi variés qu'intéressants, surtout que Billy Bat se risque à l'exercice périlleux de la fiction historique, avec un peu de paranormal mêlé. La jonction de l'ensemble est parfois maladroite ou forcée, mais en à peine huit tomes, Urasawa est déjà parvenu à faire quelque chose de cohérent et dont tous les différents liens s'entrecroisent de manière aussi étonnante que pertinente.
Ce qui fait cependant l'originalité de ce manga, au moins par rapport aux autres oeuvres de son auteur, c'est la mise en abyme qui constitue le fondement-même de l'histoire. Le comics narrant les aventures de Billy s'insère parfaitement dans le scénario, permet une certaine richesse dans la narration et lorsque les pages sont en couleur, quel plaisir visuel que de voir ces planches jaunies aux couleurs vieillies dans un style purement vintage. Les différences entre les divers auteurs de comics sont d'ailleurs très bien mises en valeur et Billy Bat se révèle être une critique très pertinente de cette industrie, en montrant ses travers, ses bons côtés et plus globalement tous les niveaux de la chaine de l'édition. Difficile d'ailleurs de ne pas voir dans le Billy de Culkin une caricature de Mickey, que ce soit dans sa tenue, son sourire niais ou son antagoniste pour le moins ... patibulaire. Urasawa voudrait-il dire qu'il regrette l'époque des comics pour gosses intelligents, avec de véritables intrigues, remplacés par de vulgaires planches dont les gags sont aussi peu inspirés que mièvres ? Une réflexion parmi tant d'autres, dans un manga qui transpire l'intelligence et les différents niveaux de lecture.
Enfin, quelques mots sur les dessins : on retrouve la patte très caractéristique de l'auteur, à mi-chemin entre le style nippon et européen, avec sa galerie de personnages inspirés, attachants et expressifs (les méchants ont toujours des regards aussi terrifiants) et de décors travaillés, et pour une fois fort variés.
En somme, Billy Bat relève un peu de la suite spirituelle de 20th Century Boys, avec son intrigue tortueuse et sa narration qui fait voyager entre lieux et époques sans prévenir. Tout aussi complexe, mais semblant plus maitrisé, Billy Bat a le potentiel pour devenir le meilleur manga d'Urasawa. Rien que ça.