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Bonne nuit Punpun
8.2
Bonne nuit Punpun

Manga de Inio Asano (2007)

Et précisément trop réel pour laisser de marbre. Réel et non pas réaliste.


On a beau frayer abondamment au milieu des Seinens, même les titres considérés comme les plus matures sur le plan intellectuel offrent trop souvent des personnages exagérément et démesurément versés dans le philosophisme tourmenté de bas étage. Dès lors où il est question du mal-être de l'esprit dans un manga, le misérabilisme s'en mêle très vite et le côté prétentieux des réflexions liées à la thématique prend le pas. On mime trop souvent la profondeur sous prétexte de s'imaginer pertinent. Rien de mieux que le vide pour donner l'illusion de cette profondeur et rien de pire que ce vide pour remplir un contenu qui aurait soit-disant un propos à rapporter au lecteur.
Je ne compte plus les monologues et autres envolées lyriques de personnages (Shônen et Seinen confondus) qui, s'imaginant convaincants dans leur déballage d'inepties pseudo-philosophiques, ont oublié d'être crédibles. L'amour, la vie, la mort, le bien, le mal, mon cul sur la commode ; tout le monde y va de sa réflexion à l'emporte-pièce sur ces sujets en s'imaginant nous délivrer du Schopenhauer mâtiné de Kant. La plupart du temps, ça ne pisse pas bien loin et le quant-à-soi révélé déçoit généralement plus qu'il ne séduit. Ces philosophes du dimanche évoluent le plus souvent dans un cadre réaliste sans être eux-même réels.


Avec Bonne nuit Punpun, nous suivrons la lente et détaillée introspection de Punpun ainsi que celle de plusieurs personnages secondaires ; introspection menée par des personnages désespérants et touchants d'humanité sans que jamais leurs situations et pensées ne virent au pathos larmoyant. Humains, non pas en ce sens où ils sont émouvants de par leurs bons sentiments mais en celui où ils sont faillibles. Leurs failles nous apparaîtront d'ailleurs d'autant plus difficiles à scruter qu'on y retrouvera immanquablement les nôtres. Vous savez, celles dont on pense que personne d'autres que nous-même n'a la moindre idée et qui en réalité sont souvent partagées par tous. Toute une génération en tout cas.


Jetez-moi la première pierre (au sens figuratif, hein !), mais j'ai rechigné à lire Bonne Nuit Punpun simplement à cause de sa couverture. J'ai beau sans cesse rapporter qu'il ne faut pas juger un livre - encore moins un manga - à sa couverture, mais j'appartiens à la catégorie des cordonniers mal chaussés. Une faille parmi tant d'autres. Je m'imaginais que ce personnage principal représenté sous la forme d'un oiseau était une manière d'infantiliser le lecteur et de forcer l'attendrissement. Mauvais esprit et paranoïaque que je suis, je pars du principe de base que si l'on nous présente quelque chose de mignon, c'est pour nous séduire et baisser notre garde. Bref, offrir les meilleures dispositions pour imposer insidieusement un tire-larme pour bonnes femmes à son lectorat.
L'auteur admettra avoir choisi de représenter le personnage de Punpun (ainsi que sa famille proche) sous la forme d'un oiseau à la conception-artistique minimaliste afin d'en faire une abstraction à laquelle pourra se référer le lecteur. Comme offrir un vide délibéré dans le réel de son œuvre pour que nous soyons amenés à le combler. L'idée est géniale, d'autant plus qu'elle est admirablement bien exploitée, le sentiment d'empathie ressenti à l'égard des personnages représentés sous cette forme n'en est que davantage renforcé.


Apparence abstraite (mais figurative, puisqu'il s'agit en réalité d'un être humain conventionnel représenté au lecteur sous cette forme) du personnage principal et de sa famille, on s'éloigne déjà du cadre du réalisme, ne serait-ce que dans l'aspect artistique du manga. On quitte le réalisme pour aller vers le réel. Ici, on ne mime pas plus la profondeur que le réel (après tout, le réalisme étant une idée d'un cadre réel plus qu'une juxtaposition exacte de la réalité), on l'incarne. Et d'une force...


Se placer avec une pareille acuité dans l'esprit d'un enfant, puis d'un adolescent jusqu'à l'âge d'un jeune adulte, le tout de manière progressive, relève purement et simplement du tour de force. Personne ne pourra prétendre ne pas s'être reconnu à un instant du cheminement psychique de Punpun. De Punpun ou bien de Yuuichi son oncle ainsi que de sa mère. Trois panels nous sont offerts (peut-être quatre en rajoutant le duo Séki-Shimizu) afin de varier les approches introspectives. D'une manière ou d'une autre, vous serez forcés de vous retrouver dans la peau d'un de ces personnages. Et sans vouloir vexer qui que ce soit (car je me compte dans le lot), aucun parmi eux n'a l'étoffe d'un héros. Loin de là.


Du drame ? Oui, il y en aura. Du dramatisme ? Jamais. Ces «drames» sont en réalité d'une envergure infinitésimales. Voyez ce sentiment de vide et d'abandon au moment où vous scrutez les pièces vides de la maison dans laquelle vous avez habité depuis votre plus tendre enfance avant de déménager ? Il n'a en réalité rien de dramatique en soi, mais la mélancolie et la douleur y étant rattachées seront ressenties à la lecture, peut-être bien à l'identique que dans le réel. Bonne Nuit Punpun ne se limitera pas à cette simple sensation désagréable qu'est celle qui nous amène à tourner une page de notre vie, mais à celle liée à un amour pur et sincère agrémenté par les aléas plus ou moins anodins de la vie. Sentiments et aléas trop réels pour être réjouissants. De quoi se faire mal à la lecture, mais on se surprend à en redemander et à tourner les pages frénétiquement après les avoir dévorées. La sensation à la lecture n'est pas agréable ; j'ai d'ailleurs lu ici et là des témoignages (des commentaires youtube sur des vidéos liées à l'œuvre) attestant du fait que la lecture avait accentué chez eux une dépression latente dont ils ne s'étaient pas débarrassés facilement. Un lecteur averti de cette critique pourrait s'imaginer que ceux-là exagèrent, moi aussi je l'aurais pensé si j'avais pris connaissances de ces témoignages avant de lire Bonne Nuit Punpun. Seulement, une fois le tome treize achevé et même bien avant, on prend conscience de la vraisemblabilité de ces propos rapportés. Moi-même étant assez peu sensible de par nature me suis senti brisé à diverses reprises tant l'impact de ces tranches de vie m'écrasaient la poitrine. Mieux vaut prévenir : la lecture est aussi captivante qu'éprouvante.


Le premier tome m'a immédiatement envoûté. Je partais pourtant avec un à priori remarquablement défavorable. La narration est d'une fraîcheur insoupçonnée, innocente, pure et pourtant implacable lorsqu'elle se confronte au réel du scénario. Le choix d'une narration extérieure au personnage nous offre des assises plus confortables pour mieux le comprendre. Une narration subjective de Punpun aurait été un autre de ces déballages d'enfant puis adolescent perturbé par ses déconvenues ; procédé assez impudique et largement abordé déjà. Oui, la narration joue pour beaucoup (parmi tant d'autres choses) dans la qualité du manga. Elle nous emporte trop facilement pour qu'on se donne la peine de remarquer à quel point son rôle est crucial dans l'œuvre.
Envoûté par le premier tome donc. Des dessins impeccablement travaillés en premier lieu, contrastants très violemment avec le simplisme extrême de l'apparence de Punpun et de sa famille proche. Mais surtout, une habileté particulière apportée par l'auteur à utiliser ce contraste pour créer de nombreux gags visuels aussi innocents et anodins en apparence que la narration, suffisent très rapidement à séduire par-delà les limites du raisonnable. Je savais, presque au premier regard, que la note que j'attribuerai au manga ne tomberait certainement pas en deçà du huit sur dix.


Le premier volume prenant encore ses marques, l'auteur y distille ici et là un humour absurde des adultes (Punpun ayant onze ans à cette époque). Comme par exemple ce professeur s'abandonnant à des commentaires violents à l'endroit de ses élèves (menaçant de briser la nuque à un instant donné), frôlant même l'hystérie et la folie avant de conclure d'un innocent et sincère «Je plaisante» ou encore le principal et son adjoint qui, ne sachant quoi faire, s'adonnent à une partie de cache-cache spontanée. Ces doses d'humour s'élimeront rapidement pour ancrer finalement le manga dans le réel. Des frasques surréalistes et drolatiques qui me manqueront toutefois car généralement bien trouvées. Peut-être auraient-elles été de trop alors que l'aspect dramatique se faisait un peu plus prégnant chapitre après chapitre.


Pas un personnage n'est à jeter. Tous sont pathétiques. Pathétiques au sens propre de la définition, pas celle aujourd'hui galvaudée. Émouvants de faiblesse sans jamais verser dans le pathos. Des parcours pourtant banals à l'exception d'un accident de la vie de plus en plus commun de nos jours. Même Yaguchi; le personnage du rival amoureux de Punpun, que l'on devrait percevoir comme une menace attirera sur son sort une vive empathie. Ceux que l'on pourrait croire un instant inébranlables se dévoilent eux aussi très vite vulnérables sans que jamais cela ne paraisse inopportun ou injustifié. Le réel prévaut à un point où c'en est douloureux. Même les personnages que l'on pourrait imaginer ignobles nous font pitié (encore un fois, au sens strict de l'expression), plus encore quand on se retrouve en eux. De quoi transformer votre compas moral en hélice d'hélicoptère. Je crois qu'à compter de cette lecture, je jugerai bien moins rapidement et facilement mon prochain. Oui, il d'agit d'une de ces rares lectures où vos convictions mêmes sont ébranlées. Et pourtant, ça ne parle pas de grands principes et de valeurs propres ; non, ça se contente de délivrer des tranches de vies humaines et ses désillusions inhérentes avec le semblant d'introspection nécessaire pour les appréhender avec exactitudes. Sans savoir dire si cela tient au fait que j'appartienne à une génération en particulier (qui est celle de Punpun), mais la facilité avec laquelle j'arrive à me référer au personnage ou à celui de Yuuichi (plus âgé) est déconcertante. De quoi prédisposer à une saine remise en question quant à ce que l'on vaut en tant qu'être humain.
Oui, à ce point.


Alors pourquoi neuf étoiles et pas dix ? Parce que, pareil aux personnages du manga, j'ai moi aussi été en proie à des désillusions, à la lecture notamment. Mineures, ces désillusions, cela va sans dire et rien qui n'entamera le plaisir de la lecture de qui que ce soit d'autre.


Ce personnage si réel de Punpun sortira de ses plate-bandes pour perdre en crédibilité. D'abord en devenant fou de désespoir au point de se faire passer pour un autre durant un court temps (au point où l'on se posera des questions sur la pertinence et même la crédibilité d'un changement si abrupt). Mais le réel problème à mon sens se révèle à l'instant où Punpun tue la mère d'Aiko. Le dramatisme s'ajoute au drame à cet instant.
Aiko et Punpun deviennent inconséquents dans leur manière de penser, on tombe dans les travers mentionnés dans l'introduction de cette critique sur le philosophisme bancal à deux ronds mêlé à une folie trop poussive. Toutefois la résolution de cette phase finale est plus que satisfaisante.


Aussi, l'intrigue parallèle avec la secte «Good Vibrations» ne m'a pas convaincu quant à sa raison d'être dans l'histoire globale. Peut-être à la fin quand Séki et Shimizu s'y retrouvent mêlés, mais en dehors de ça (et aussi de l'humour suscité par le gourou, il faut bien le dire), son existence reste un mystère. Peut-être qu'un lecteur avec un autre degré de lecture que le mien pourrait m'éclairer en me donnant son avis sur la question.


Je ne saurais dire si je souscris à la vision de d'Asano Inio, considérant que la fin de son manga se veut malheureuse là où mon regard de lecteur pourrait au contraire enfin y déceler une lueur d'espoir. L'espoir, cela nous manque aussi vite que l'air libre quand on se retrouve la tête sous l'eau. Prenez garde, la période d'apnée dure treize tomes et on n'en ressort par indemne une fois à la surface.
De grâce, que ceux hésitant à lire cette perle de Seinen ne commettent pas la même erreur que moi en s'arrêtant aux dessins innocents et bon enfants suggérant un rendu gnangnan et mielleux, vous passeriez à côté d'un des plus gros filons de ce siècle.
Avertissements cependant, je recommande à toute personne souffrant de dépression de ne pas entamer la lecture, ça n'arrangerait pas votre cas. Même avec une psyché en bon ordre, on laisse une partie de soi à la lecture, celle que finira par incarner Punpun au cours des treize volumes.

Josselin-B
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le 25 janv. 2020

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Josselin Bigaut

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