En 2014 sort chez Dargaud le premier tome des Vieux fourneaux, avec Wilfrid Lupano et Paul Cauuet aux commandes. Une belle surprise mais aussi une réussite publique et critique, poursuivie dans 5 tomes, à ce jour, et qui a même eu droit à un honnête film en 2018, au beau casting.
Le scénariste Lupano a cité Jacques Audiard, Bertrand Blier ou les frères Coen parmi ses influences, et elles se retrouvent ici. Le ton est comique mais il est mordant, égratignant quelques bassesses de ce monde, politiques ou sociétales, au fil des albums, en utilisant une belle équipe de personnes âgées, mais pas grabataires, et la fille de l’un d’entre eux, jeune maman fan de théâtre.
Le premier tome introduit donc cette belle équipe, avec Pierrot, ancien syndicaliste, ancré dans son décor rural, Pierrot, anarchiste un peu foufou et Mimile, vieil aventurier massif mais aujourd’hui rangé. Ces amis d’enfance qui ont grandi dans le même village s’étaient perdus de vue jusqu’à ce qu’un enterrement les réunissent à nouveau, celui de la femme de Pierrot. Mais la belle cohésion vole en éclat quand celui-ci apprend que sa bien-aimée a autrefois partagé une aventure amoureuse avec son patron, l’ennemi à abattre, propriétaire d’une usine de médicaments de la région.
Ce premier volet nous offre déjà une belle galerie de personnages, des grands amis, mais aussi un certain nombre de secrets, avec quelques pistes plus tard développées dans les tomes suivants et qui présenteront le passé des personnages tout en restant ancré dans l’actualité. Le premier tome évoque dans une scène rageuse l’héritage de cette génération de vieux, mais d’autres évoqueront l’anarchisme, le syndicalisme ou l’activisme écologique, autant de revendications politiques dans une société toujours aussi peu idéale. Le ton est parfois plus direct et amer, comme le sort de l’île de Nauru, rendue folle par le capitalisme sauvage, parfois plus ironique, comme cette marque de baguettes aux méthodes marketing absurdes et aux noms de pains ridicules, mais en tout cas l’humour est utilisé à bon escient. Que ce soit global ou local, les auteurs visent juste.
La série n’hésite d’ailleurs pas à se moquer de ses personnages, de leurs banals problèmes de vieux, de leurs hypocrisies aussi. Les dialogues sont piquants, certaines expressions très imagées, très inventives. Il y a de la verve. Les rôles principaux sont donc attachants, toujours à agir mais aussi à réagir, dans les capacités de leur âge, mais la série les montre parfois sous des angles moins valorisants, avec certains secrets parfois bien lointains. Leur portrait est humain, avec leurs qualités et leurs faiblesses, leurs aveuglements, leurs colères ou leurs ressentiments.
Le trait de Paul Cauet fait d’ailleurs ressentir cet esprit, il est à la fois légèrement exagéré, mais aussi un peu cassé, parfois anguleux. Ses personnages ont de l’aspérité, et pas seulement des rides, mais en même temps une grande expressivité, s’animant dans des cases à la composition entraînante, tout comme chaque album constitue une petite aventure mais connectée aux autres tomes.
Le premier épisode est, pour l’instant, le meilleur, car si l’humour mordant est resté présent, son tragique avec ce deuil difficile et cette vengeance impossible apportent une intensité bienvenue. Les autres albums utiliseront d’autres thèmes, et on y rigole encore beaucoup, c’est évident, mais il est plus difficile de retrouver les sensations fortes du premier. Il n’empêche que Les Vieux Fourneaux est une série maligne, un incontournable de la production contemporaine pour ses qualités déjà citées, pour son fonds, ses problématiques sociétales ou politiques toujours renouvelées même si parfois survolées et ses personnages, traits d’union entre plusieurs générations.