Si je m’étais arrêté à sa (modeste) participation aux comic-books, je n’aurais jamais prêté une plus grande attention à Wallace Wood. Même si je reconnaissais son trait élégant et racé sur quelques charmants épisodes de Daredevil. Le costume rouge iconique, c’est lui.
J’étais bien loin de me douter de toute la diversité des participations de Wallace Wood, pour qui la participation à des pages des grands éditeurs de super-héros était assez secondaire, il a collaboré pour une multitude de revues parfois plus confidentielles, parfois plus prestigieuses comme la célèbre revue satirique Mad, mais qu’il quittera trop vite. Il s’est même lancé dans l’édition indépendante, faisant de lui un des pionniers de ce genre.
En France, Fershid Bharucha le fait connaître dans sa célèbre revue L’Écho des savanes spécial USA rebaptisé Spécial USA puis USA Magazine avec beaucoup d’autres auteurs moins capes et collants. L’entente fonctionne bien, différents albums sont édités tels que Sorcelleries et ses dernières publications sont publiées simultanément ou presque aux États-Unis et en France. Parfois notre territoire aura même la primeur de ses nouvelles pages. En 1977 il remporte même l’éphémère Prix du dessinateur étranger au festival d’Angoulême. Sa venue lui laissera quelques souvenirs amers puisqu’on lui volera lors de sa venue les planches originales d’un nouveau projet.
Cette popularité francophone s’estompera dans les années 1980 et 1990, après son suicide en 1981. Très malade et usé, son corps ne pouvant plus le tenir, ne pouvant plus dessiner pour gagner sa vie, il préfère en finir.
Une de ses œuvres phares est néanmoins rééditée au début des années 2000, la belle et ingénue Sally Forth. L’héroïne est belle, inconsciente du charme qu’elle crée sur les hommes et les histoires sont piquantes et imaginatives, toujours malicieuses. C’est avec Sally Forth que je découvre enfin Wallace Wood, que je prends enfin connaissance de son esprit fin et de son trait faussement innocent.
Ce n’est qu’un premier pas, avant qu’une nouvelle vague de reconnaissance ne déferle sur l’hexagone ces dernières années, redonnant à l’auteur disparu l’importance dans le paysage du 9ième art qui lui faisait défaut. Une exposition lui rend hommage au festival Angoulême, tandis que certaines de ses œuvres sont rééditées à l’image de Cannon mais aussi de cette œuvre, Cons de fées. L’une et l’autre sont d’ailleurs des rééditions augmentées, agrémentées de suppléments et même de pages inédites.
Pour Cons de fées, édité par l’excellent éditeur Revival, l’ouvrage a même droit à une introduction de Bernard Joubert, éminent spécialiste de la censure et de la bande dessinée érotique. Car Cons de fées regroupe ainsi l’intégralité des bandes dessinées érotiques et pornographiques de Wallace Wood, publiées entre 1965 et 1981 dans différentes revues. Et oui, ces « cons » ne sont peut-être pas ceux que vous pensiez. Il manque néanmoins à l’ouvrage certaines illustrations coquines, les couvertures réalisées pour ces revues et la célèbre image The Disneyland Memorial Orgy. Cette dernière commandée pour la mort de Walt Disney pour une revue satirique voit ses créatures forniquer et se vautrer dans la luxure parfois animale. L’image est scandaleuse, piétinant l’image lisse et polie de la compagnie, ce qui en fera une illustration souvent piratée.
Si cette image n’apparaît pas dans ce recueil, ce dernier témoigne de la facétie de Wallace Wood, habile dans la parodie d’oeuvres célèbres, ici détournées jusqu’à la pornographie. Dans les histoires de Far-Out Fables (1965-1967) ou dans Malice in Wonderland (1976-1977), l’humour et la dérision sont encore assez présents, les allusions sont osées mais amusantes. Ce sont assurément les meilleures histoires de l’ouvrage, suffisamment excitantes et suffisamment drôles. Pour d’autres histoires, Wallace Wood ira plus loin dans la parodie pornographique, n’hésitant pas à aller dans l’explicite.
L’auteur semble alors renouer avec l’esprit des Tijuana Bibles, ces petites productions clandestines et pornographiques des années 1920 et 1960 où quelques dessinateurs plus ou moins talentueux allaient très loin dans la reprise sulfureuse des idoles de l’époque. J’en avais déjà dit quelques mots dans cette critique. Avec Wallace Wood, les personnages de Flash Gordon, Lil’ Abner, le Magicien d’Oz, Perry et les Pirates, Prince Valiant, Super Man ou la Blanche-Neige de Disney s’ébattent joyeusement, dans une orgie délurée entre adultes consentants, à part peut-être pour cette pauvre ingénue de Malice in Wonderland ou Flash Gordon, empalé par sa compagne qui veut lui faire comprendre ce qu’il lui fait subir.
D’autres histoires sont plus personnelles, l’héroïne fétiche Sally Forth fait quelques apparitions pour des histoires bien moins érotiques, n’hésitant plus à donner de sa personne. Mais il y a d’autres passages parfois directement autobiographiques, à l’image de My World (1976), commentaire critique sur son époque, décliné en une nouvelle version pour The Sexual Revolution (1981). Le ton un peu désabusé de l’auteur, car Wallace Wood n’était pas qu’un amuseur, offre un contrepoint fin à des histoires plus malicieuses ou plus légères.
Ces récits furent publiés entre 1965 et 1981, l’ouvrage permet à travers les histoires présentes de découvrir l’évolution de Wallace Wood. Ou plutôt ses différents essais pour s’amuser, en 1965 il a déjà un style bien affirmé, avec un trait à la fois élégant et malicieux, faussement innocent. L’encrage peut évoluer, avec parfois des subtilités de gris plus prononcées ou des tranches de noir pour appuyer les contours (Super Cosmic Comic Creator Comix, 1977, excellent), tandis que si la plupart des histoires sont en noir en blanc, certaines en couleur telles que Malice in Wonderland vont de pair avec la fantaisie des idées utilisées.
Pour d’autres segments, Wood va parfois s’amuser à copier le style des œuvres originales, comme pour Lil an’ Abner (1980) et le trait rond du créateur Al Cap ou le dessin un peu vieillot et statique d’Harold Foster dans la parodie Prince Violante (1981) ou Starzan (1981).
Au fil des années, et à mesure que les histoires X sont de plus en plus explicites, Wallace Wood va utiliser de grandes cases et des compositions moins chargées, pour garantir la lisibilité de l’acte sexuel, délaissant les détails réalistes ou amusants. La technicité du maître n’est déjà plus évidente, mais cela va de pair avec ses problèmes de santé qui ravagent ses talents. Les dernières histoires n’ont rien de fameuses, c’est une évidence, elles sont présentes pour le souci d’exhaustivité, on sent l’auteur fatigué, probablement aussi mal assisté.
L’album n’est donc pas d’un seul tenant, c’est évident. Quand Wallace Wood est en forme, il fait des étincelles, son érotisme piquant et sa joie à pervertir des histoires connues sont rafraîchissantes, malgré les décennies écoulées. J’espère que Revival ou d’autres éditeurs continueront à faire redécouvrir Wallace Wood, il y a encore une foule d’autres histoires à partager.
(Sally Forth, par exemple)