Jung, auteur et dessinateur, raconte son enfance et s’interroge autour de ce qu’il est : un orphelin coréen adopté par un couple belge, déjà parents de quatre enfants, en Wallonie au début des années soixante-dix alors, qu’il a cinq ou six ans.
Couleur de Peau : Miel accumule les souvenirs d’enfance comme des sucreries, douces ou amères, qui racontent le déracinement, l’intégration, tout ce qui accompagne un tel voyage. Les questions et certaines réponses autour de l’abandon, l’imagination qui pousse à savoir qui sont ces parents qui laissent des orphelins derrière eux, sont les grands axes de structure d’un récit au style délibérément enfantin et faussement naïf. Le rejet, l’oubli puis la curiosité de la culture originelle tendent le cheminement erratique de l’enfant perdu et adapté. Cette culture natale floue devenue étrangère au temps de l’intégration revient frapper et fasciner le jeune adolescent à l’aube de sa construction personnelle.
La chronique est d’autant plus agréable et intéressante que les questionnements, toujours au ton régressif de l’enfance, mélangent les époques : là où l’enfant raconte une certaine chronologie, l’auteur l’interroge avec une expérience qu’il n’avait alors pas encore.
Le dessin, noir et blanc crayonné, est plaisant et clair. Rond et expressif. On regrette parfois un peu de couleur pour donner plus de corps à l’ensemble, plus de puissance à la narration, mais on profite de quelques magnifiques cases, comme celle des années qui filent avec une plongée aérienne sur la maison de l’enfance comme un train à vive allure à travers champs, et de sympathiques clins d’œil, de La Grande Vague de Kanagawa d’Hosukai aux héros animés d’une enfance occidentale aux prémices de la mondialisation, Goldorak et Astro Boy.
Jung l’assure lui-même dans le dernier chapitre du volume : aujourd’hui auteur et dessinateur de bd, il ne peut nier l’évidence des thèmes qui hantent son œuvre, abandon, déracinement, identité. C’est le cœur de Couleur de Peau : Miel, une autobiographie sucrée de l’enfance où les déracinées se retrouvent j’imagine, mais les autres aussi. Il y a quelque chose d’universel dans l’enfance, dans ses aspirations et ses joies, dans ses difficultés, dans ses méandres, que Jung cerne avec précision et légèreté.
Matthieu Marsan-Bacheré