Autour des mêmes questionnements liés à l’adoption et au déracinement, Jung aborde ici son adolescence et le seuil de l’âge adulte, ce moment compliqué où le jeune homme commence de se comprendre sans toujours s’accepter. Entre racines mixtes à concilier, et émancipation.
Sur le même type de structure où la chronologie se gorge d’échos d’une expérience à venir, le second volume de Couleur de Peau : Miel évoque l’importance de racines bien ancrées, l’opposition âcre et douloureuse des origines qui font l’adopté, la solitude, la mort, le désespoir, jusqu’au suicide de ces coréens déracinés et désorientés. Jung oppose les différentes saveurs de son histoire, qui font un tout, aussi paradoxales soient-elles. Autour de la faim par exemple, gérée dans l’insouciance au jour le jour par l’orphelin errant de Namdaemun, calmée à satiété jusqu’au dégoût, et l’imbécile gaspillage alimentaire que, jeune collégien occidental à présent, il se permet. Tous ces petits riens anodins et universels, les conflits de l’adolescence dans le questionnement de l’être et tous les actes maladroits qui en découlent, sont l’art évident de cette autobiographie tiraillée mais sereine, en ce sens où le recul y est toujours présent.
Jung dessine l’âge des souffrances et des angoisses avec une tendre poésie, simple et accessible. Des traits précis et des portraits simplistes mais expressifs, des ambiances nettes en quelques détails malgré l’épurement du dessin : les séquences courtes qui se suivent vont toujours à l’essentiel, idéal complément imagé du récit, aéré, et encore une fois, serein.
Le second volume de Couleur de Peau : Miel clôt, pour l’instant, l’autobiographie dessinée de l’adopté déraciné Jung, tiraillé entre la fuite dans l’oubli de ses origines, vers l’occident, et le désir de racine qu’il comble par détours, jusqu’à son premier voyage asiatique, au Japon. Jung réfléchit autour de l’acceptation de soi, et son abandon originel y ajoute une dimension d’angoisse et d’irrésolu avant que la promesse ultime d’un retour montre une partie de la voie.
L’auteur digère les âcres sucs de son déracinement et de son adolescence avec légèreté jusque dans les moments les plus sombres, et malgré la spécificité de son histoire, touche à l’universel.
Matthieu Marsan-Bacheré