Daisy, lycéennes à Fukushima par Ninesisters
Ceci n’est pas un manga d’utilité publique. Ce n’est pas un manga à lire pour se donner bonne conscience ou pour s’informer sur la catastrophe du 11 Mars 2011. Il s’agit avant tout d’un titre poignant, qui mériterait d’être découvert même s’il abordait un tout autre sujet.
Sauf qu’en l’occurrence, celui-ci parle de personnes vivant à Fukushima après la catastrophe, qu’il est basé sur des témoignages réels, et nous montre une réalité impossible à retranscrire avec des chiffres et de beaux rapports. Le choix de raconter cette histoire par le biais d’une comédie romantique est le meilleur qui soit, puisque ce genre plus qu’aucun autre place les personnages et leurs sentiments au centre de toutes les préoccupations.
L’idée n’est absolument pas de nous narrer le déroulé de l’accident ou ses conséquences d’un point de vue scientifique, tout simplement car les protagonistes eux-mêmes ne sont pas des scientifiques, et ignorent tout ou presque de la radioactivité et de la contamination réelle de leur environnement ; le gouvernement japonais prenant soin de ne pas divulguer d’informations qui risqueraient de provoquer des mouvements de panique (le gouvernement français n’avait pas gérer différemment l’explosion de la centrale Lénine de Tchernobyl). Cette méconnaissance renforce l’identification avec les personnages, et nous permet de mieux appréhender leur détresse puisque nous nous demandons sans cesse ce qui est réellement dangereux, et comment s’en prémunir. Ayant moi-même travaillé sur les effets de la radioactivité sur l’organisme et sur les conséquences de Tchernobyl, certains comportements me paraissent même suicidaires.
Daisy, Lycéennes à Fukushima pointe du doigt énormément de détails auxquels nous ne pensons pas forcément au premier abord quand nous imaginons la vie de ces populations, mais qui viendront profondément altérer le quotidien des héroïnes. Ainsi, l’une d’entre elles se verra rejetée par un fiancé effrayé à l’idée qu’elle puisse le contaminer, ou donner naissance à des enfants anormaux. La moindre averse, synonyme de retombées de radioéléments en suspension dans l’air, suffit à effrayer la population. Les enfants ne jouent plus dehors, par peur qu’ils entrent en contact avec du matériel contaminé. Evidemment, les agriculteurs ne peuvent plus vendre leurs récoltes, et les touristes ont déserté les environs.
Même si les héroïnes sont pleines de vie et d’espoir, elles ressentiront chaque nouvelle découverte comme autant de drames. Jusque-là, elles prenaient leur quotidien comme acquis et réfléchissaient à leur avenir, mais la catastrophe est venue tout chambouler.
Si je voulais faire des reproches à ce manga, je dirai que certains comportements m’ont surpris, peut-être car liés directement à la mentalité des personnages ou au manque d’informations. En effet, elles vont rapidement considérer qu’il serait lâche de quitter Fukushima. Lâche ? Je ne vois pas ce que la lâcheté vient faire là-dedans : il s’agit de survie, ni plus ni moins ; une ville où les habitants paniquent dès qu’il se met à pleuvoir ne me parait pas le meilleur endroit pour vivre en famille. Je peux comprendre l’attachement à leur terre, mais vouloir rester n’a rien à voir avec du courage : c’est de l’inconscience. Ou alors, elles parlent de lâcheté uniquement pour condamner ceux qui ont la possibilité de partir, et de laisser derrière eux ceux qui n’ont pas cette chance ?
Daisy, Lycéennes à Fukushima est certes un titre informatif pour qui voudrait en savoir plus sur la vie des populations de Fukushima, mais il s’agit surtout d’une œuvre profondément humaine et touchante, d’une lecture bouleversante et en même temps débordante d’espoir. Nous vivons avec les personnages, nous partageons leurs joies, leurs peines, et leurs interrogations, nous souffrons avec eux, et nous ne pouvons nous empêcher de nous poser cette question fondamentale : et si nous étions à leur place ? Comment vivre dans de telles conditions ?
L’auteur traite ses héroïnes avec énormément de tendresse, et évite bien de tomber dans le mélodrame facile, ou dans le complot gouvernemental (même si elle émet des reproches légitimes envers Tepco et les autorités japonaises). Il en résulte un manga marquant et chaudement recommandé.