Dark Country
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Dark Country

BD (divers) de Thomas Ott (2013)

L’univers décrit par Thomas Ott est très noir, à l’image du titre de cet album (24 x 17,3 cm) composé en carte à gratter (noir et blanc), sur un scénario de Tab Murphy. A noter que le scénario a d’abord bénéficié d’une adaptation cinématographique par Thomas Jane, acteur et réalisateur américain, également éditeur de comics (Raw Studios). C’est Thomas Jane qui a proposé le scénario à Thomas Ott, pensant qu’il pourrait l’inspirer puisque lui-même avait pensé au dessinateur pendant le tournage du film. Effectivement, le dessinateur suisse d’expression allemande (né en 1966), sans même avoir vu le film, nous propose cette adaptation à sa manière. Deuxième album de sa main que je découvre, et même obsession pour la sombre fatalité et une histoire qui tourne en boucle, d’où mon titre. Autre particularité du style du dessinateur, il se passe de dialogue, se contentant à l’occasion de quelques informations écrites comme des enseignes de magasin ou des inscriptions sur des objets. Sauf rejet pour causes personnelles (style graphique, ambiance), l’album se parcourt rapidement, ce qui tend à montrer qu’à la base, la BD fonctionne avant tout sur des codes visuels. Sans surprise, on imagine aisément cette histoire comme un film, même si Thomas Ott dit bien que cette BD est sa version du scénario de Tab Murphy. N’ayant pas vu le film de Thomas Jane, il m’est impossible de faire la moindre comparaison.


Un couple de jeunes mariés circule en voiture : voyage de noces dans l’Amérique profonde (on devine, car aucun nom de ville n’apparaît), avec hébergements dans des motels perdus dans la campagne. C’est l’homme qui conduit, de nuit. Pourquoi de nuit ? Aucune explication. La justification plausible, c’est que toutes les péripéties imaginées fonctionnent grâce à cela. La nuit est propice à la rêverie, surtout quand la passagère est endormie. C’est de nuit que n’importe quoi peut surgir brusquement dans le faisceau des phares. Et c’est de nuit qu’on a du mal à trouver des secours. C’est aussi de nuit qu’on oublie facilement un objet compromettant après avoir improvisé à la suite d’un drame. On panique plus facilement de nuit que de jour quand l’impensable se produit. D’ailleurs, il semble que ce soit dans l’univers de la nuit que le couple se soit constitué. Les liens du mariage ayant même probablement été officialisés un peu rapidement.


Ce que le scénario suggère, c’est que tout un chacun réagirait de la même façon dans une situation dramatique telle que celle présentée. Cela me semble l’autre point le plus discutable de ce voyage de fête qui se transforme en cauchemar où tout s’enchaine pour toujours aggraver les menaces qui pèsent sur les protagonistes.


Visiblement Thomas Ott connaît parfaitement l’univers des films noirs (réminiscences de films des frères Coen notamment). Son art de la narration par l’image est parfaitement au point. Il fait sentir l’ennui, la longueur des distances à parcourir ou bien encore le mariage comme une bonne opportunité. Il choisit des cadrages et enchainements très cinématographiques. Après un prologue en quatre planches qui situe le couple, il met en place le drame en utilisant souvent des vignettes au format type cinémascope, en particulier pour tout ce qui se passe dans la voiture. La majorité des planches comporte quatre vignettes de ce type, alignées verticalement. Mais, selon les besoins, il alterne les formes et les tailles, en particulier lorsqu’il veut faire sentir la notion d’espace (et mieux confronter ses protagonistes à l’impossibilité de s’en sortir indemnes).


En 56 pages non numérotées (53 planches), Thomas Ott séduit par sa capacité à capter l’attention de ses lecteurs (lectrices), avec un style personnel aisément identifiable où il soigne les détails sans faire dans la surenchère graphique. Il joue habilement sur le frisson que beaucoup aiment éprouver en découvrant une fiction à caractère angoissant et il met intelligemment en valeur un scénario qui lui correspond. Un scénario qui comporte néanmoins quelques facilités qui passent en première lecture. Fort heureusement, l’absence de dialogue facilite et incite la relecture pour mieux saisir la portée de chaque détail.

Electron
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le 12 juil. 2019

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