Pucelle fait partie de cette vague de bandes dessinées parue après le confinement, contentant à la fois un manque causé par une production éditoriale à l’arrêt mais aussi une curiosité bien actuelle, et tout à fait légitime, sur le corps féminin, vu de l'intérieur.
Pour autant, le but de l’album n’était pas d’en faire un documentaire, car Pucelle est une oeuvre autobiographique, un deuxième numéro d’une série prévue de trois. Mais l’intérêt est bien l’angle choisi, car il ne s’agit pas de dresser l’épanouissement d’une sexualité féminine épanouie en tant qu’adulte. Mais au contraire de montrer les tourments de la modification des corps, du regard extérieur sur ce que signifie être une femme, mais aussi des questionnements et des angoisses psychologiques de l’enfance à l’adolescence.
Florence Dupré La Tour, née en 1978, est bien consciente de faire partie d’une famille de privilégiés, blancs, riches, isolés. Elle et ses frères et sœurs, dont son inséparable sœur jumelle, sont élevés dans un certain cadre familial, assez traditionnel, où la religion est importante, où la place des femmes est au foyer.
Ce cadre de la jeunesse et tout ce qu’il implique est représenté avec un trait faussement enfantin, les silhouettes assez rondes, les visages en forme de pouces, avec quelques traits pour qu’ils puissent exprimer leurs émotions. Certaines très fortes sont d’ailleurs représentées avec une grande exagération. La palette de couleurs entre gris et roses accentue cette fausse naïveté, mais le ton est bien acide, parfois amer, dans cet environnement favorisé (matériellement), mais où Florence doit lutter contre bien des démons, y compris venant d’elle-même.
Cette éducation sexuelle et sociale n’est que rarement représentée, mais elle est évidente, ses conséquences sont bien là. La petite Florence ne comprend pas certains points, prête à les remettre en question, comme la soumission de sa mère à son père, mais en a assimilé d’autres. Tout ce qui a trait à la sexualité l’horrifie, voire même la dégoûte. Quiconque utiliserait un certain vocabulaire serait considéré comme impur, voire comme une prostituée.
Alors Florence se débat avec ses interrogations, les secrets de la vie qu’elle cherche à comprendre, mais ce qu’elle peut découvrir la révulse. L’auteur ne cherche d’ailleurs même pas à se mettre en valeur, comme un petit enfant ingénu ou innocent. Au contraire, ses colères sont parfois cruelles, terrorisant d’autres créatures plus petites qu’elle, ses états d’âme perturbés sont montrés sans fards. Loin de l’angélisme de cette période que tant d’auteurs veulent nous présenter, Florence Dupré La Tour en montre aussi toutes les difficultés, les égoïsmes et aveuglements obstinés. Pour autant, le portrait des adultes n’est guère plus flatteur, les rôles qu’ils jouent sont remarqués par l’enfant, avec leur hypocrisie, mais aussi leurs difficultés ou l’absence de réactions pour accompagner Florence dans les bouleversements de son corps.
Cela va avec des tranches de vie, le plus souvent en rapport avec ces thématiques, parfois amusantes de naïveté, parfois gênantes. Ce corps qui change est un problème. Les premières règles de l’héroïne sont rocambolesques, il y a bien sur les interrogations légitimes, mais aussi et surtout les embarras incroyables qui en découlent, notamment sur comment les cacher. Le sujet est habituellement rarement évoqué, peut-être encore un peu tabou, même si toute une littérature récente commence à s’y attaquer. Mais il rappelle aussi à quel point l’apprentissage de soi et l’acceptation de son corps ne vont guère de soi, notamment quand on est une femme à cet âge là.
La lecture est donc à la fois intimiste, dans ce quotidien compliqué, mais à la portée bien plus large. Peu importe son sexe d’ailleurs, homme, femme ou casserole, tant qu'on le lit. Pucelle mérite bien d’être cette œuvre critiquée un peu partout cet été 2020, mise en avant par beaucoup de personnes. Il ne faudrait pas surtout y voir le produit d’un effet de mode, d’une vague commerciale et féministe qui ferait frémir certains rétrogrades, même s’il sort à une période plus facile pour ce genre de sujets, hasard d’un calendrier pour un projet longuement travaillé.
Florence l’enfant n’est pas un porte-drapeau, elle n’est pas le moule de toutes les autres expériences, chaque vie est différente, chaque initiation l’est aussi. Mais les difficultés qu’elle croise et les vérités qu’elle veut croire en disent aussi beaucoup sur cette période mal évoquée, par excès de bons sentiments et par respect pour l’image du petit enfant innocent. Le livre ne manque pas d’ambiguïtés, les intentions ne sont pas toujours retranscrites, et c’est aussi ce qui rend cette bande dessinée si fascinante.