John a la quarantaine, du bide, des tâches sur le visage, et est responsable communication dans une revue. Un boulot assez pépère, ou en tout cas qu’il vit comme tel depuis quelques années, par érosion de motivation. Il a trois enfants, dont 2 grandes filles, issues d’un premier mariage, qu’il a eu dés l’âge de 17 ans, et un petit dernier : Sam, dont il s'occupe beaucoup,… car John croise Chan, sa dernière femme, plus qu’il ne vit avec. Et cette routine, même sils s’aiment, le ruine.
Dans cet album d’abord édité au Canada en 2010 chez l’éditeur indépendant Drawn & Quartelery, on croise aussi Sherry et Ric, deux quadra qui ont connu les joies de la scène rockn’roll, et qui, bien obligés à un moment, ont du se caser. Ils bossent tous les deux pour la chaine de Tv Playtime, consacrée aux enfants, et interprètent des chansons pour eux. Sherry est l’auteur compositeur, et a du talent, tandis que Ric et déguisé en singe et fait le pitre. Il a du mal à le supporter, même si cela paie bien. Alcoolique, il se met régulièrement en danger, lui et son entourage.
On va suivre en parallèle les deux vies de John et Sherry, plus ou moins en « quarantaine » donc.. jusqu’à ce qu’elles se croisent…
Joe Ollman, auteur canadien dessine à la façon de ces jeunes dessinateurs issus de la culture « Punk », en noir et blanc au trait, avec quelques trames, mais surtout un style semi réaliste « gros nez ». Son dessin aux contours bien marqués, et au noir bien noir, rappellera assez vite celui de Daniel Clowes. Mais on pense aussi , niveau culture et do it yourself des personnages, à Joe Matt, et bien sûr Peter Bagge, pour le côté trash et punk.
L’analyse hyper réaliste, et cynique, de la vie assez peu trépidante d’un quadra marqué est bluffante, tout comme celle d’une artiste qui oscille entre son désir d’accéder à la reconnaissance en tant qu’auteure et celui de bien gagner sa vie. On est toujours sur le fil du rasoir, et les visions sans détour de John, tout comme de Sherry de leur propres vies procurent à la fois un sentiment de compassion, et un réflexe de moquerie, tant leurs hésitations et leurs mal être résonnent face à nos propres destinées.
On pourrait croire que ce genre d’album, du genre roman graphique introspectif, serait roboratif. Mais c’est mal connaître le talent de Joe Ullmann, qui arrive à rentrer dans les détails, au long de 180 pages, de scènes de vie pas si atypiques que ça, de gens plus ou moins « normaux ».
Cet album assez cynique, blindé d’un humour noir et corrosif, fourni au final une « étude » assez jouissive de notre époque, dans un milieu certes urbain et anglo-saxon, mais plein de clins d’œil sur nos vicissitudes d’adultes.
Une réussite, à ne cependant pas conseiller aux personnes déprimées.
Les éditions presque lune « vision d’auteurs sur le monde et ses quartiers », basées à Rennes, existent depuis 2009 et ont développé une collection de roman graphiques : Lune froide d’où est issu « En quarantaine ».