Cela ressemblerait presque à s'y méprendre, par moments, à une autre histoire, et le style noir et blanc, bien que diffèrent, nous renverrait à "Berlin, La cité des pierres" de Jason Lutes.
Mais nous sommes en France, (et en Belgique dans les premières pages, à la Panne), en 1935.
Le jeune François Mitterand, 19 ans, alors étudiant aux Facultés des lettres et de droit de Paris, loge au 104 rue de Vaugirard, où se trouve un foyer de pères maristes, la Réunion des étudiants. Parallèlement, il entre à l'École libre des sciences politiques, de laquelle il sort diplômé en juin 1937. La même année, il obtient un diplôme d'études supérieures de droit public, à la suite de l'obtention d'une licence ès lettres l'année précédente. (Wikipedia)
Ce sont ces années d'études, d'engagement politique (au sein des Volontaires nationaux, mouvement de jeunesse de la droite nationaliste des Croix-de-feu du colonel de La Rocque), ses relations d'amitié avec la Cagoule, ses écrits dans la revue Montalembert, et dans l***'Echo de Paris***…son service militaire dans l'infanterie coloniale en 1937, et sa détention dans les Stalags IXA de Ziegenhain-Trutzhain et IXC de Schaalacapture en 1940 qui sont évoqués ici. Tout comme ses relations avec la bureaucratie de Vichy, et son engagement pour les prisonniers de guerre, puis son rapprochement du mouvement officiel de résistance et donc du général de Gaulle, fin 1943.
Ce parcours étonnant, quelque peu confus, d'un homme instruit et cultivé, mais au final suivant une ligne plutôt humaniste, révèle les premiers pas politiques d'un personnage, qui sera amené à devenir président de la république française à deux reprises, et a laisser une empreinte et une influences considérables.
Mais ce qu'en font Pierre Richelle et Féréderic Rébéna, relève aussi de l'éclairage, car tant de choses ont été dites sur ces années troubles qu'il fallait dénouer un peu le vrai du faux. Et leurs recherches documentaires les y ont aidés.
Il est intéressant de restituer le contexte historique de l'avant guerre et du début du conflit, où l'on sent bien les tensions d'alors, (on parle beaucoup ici de Youpins, de Yourrte (plolonais), et de Juifs, et de voir comment tout ces étudiants fraîchement diplômés se voyaient déjà investi de hautes missions. Peu importe que ce soit sous les ordres du régime collaborationniste de Vichy qu'ils aient évolué alors, on comprend que ce aspect collaborationniste justement ne leur a pas sauté aux yeux immédiatement. Etre à l’abri et posséder un emploi était plus important pour la plupart à ce moment là.
La scène où Mitterand, alors déjà bien engagé dans l'anonymat, demande à son frère Jean (p134 : "Alors Jean, quoi de neuf..tu travailles toujours au commissariat aux questions juivess? …. Oui.
Tu t'y sens bien, tu n'as pas envie de changer d'air ? Non, pourquoi ?"… a le mérite de montrer le déchirement qui le tenaille alors.
Famille, patrie, travail sont bien les maîtres mots de ce roman graphique et de cette époque, qui ne laissait pas beaucoup de place aux hésitations, et demandait à se forger un caractère et des valeurs bien trempés, pour pouvoir choisir son camp, voire éventuellement d'en changer ("je revendique le droit à changer d'opinion" dit-il au début du livre), mais surtout être en phase avec soit-même et pouvoir justifier ses actes.
Une période difficile, que les auteurs rendent à merveille, grâce à une clarté dans le découpage , de très bon dialogues, et un dessin sobre, mais efficace, dans un style pouvant évoquer à la fois Cailleaux, Lutés on l'a dit, mais aussi certains Blutch.
Le noir et blanc au crayon de Rébéna, non encré, mais parfois hachuré au lavis, ou colorié en noir, révèle souvent de belles scènes stylisées (p. 52 ou en direction du polar p. 41-42 ) et s'applique aussi à rendre d'autres belles ambiances noires bienvenues, très expressionnistes (p. 33, 127,128 (le trajet d'avion pour l'Angleterre, magnifique), Il déçoit cependant à un moment par manque de noir (p112,113), comme si un souci d'impression ou de délai avait obligé le dessinateur à rende sa planche trop tôt.) On ne lui en tiendra pas rigueur, tant l'ensemble de l'album se lit rapidement et avec bonheur, laissant même un peu sur sa faim, au moment final de l'enterrement du premier enfant de notre (anti)-héros, page 128.
Je ne sais si une suite sera envisagée, car le reste de la carrière de ce grand homme politique possède encore bien des zones intéressante à raconter, mais ce chapitre trouve néanmoins, à mon avis, dores et déjà sa place parmi les grands romans graphiques.
Tous publics, à partir de 13 ans seulement, pour la compréhension du contexte.