Pour réaliser cette histoire consacrée à ce sujet d’actualité qu’est le « suicide assisté », que certains préfèrent remplacer par des expressions moins frontales comme « aide à la fin de vie », les auteurs se sont inspirés de faits réels, l’un étant lui-même directement concerné par le sujet, à travers son père militant dans l’association « Ultime liberté ». Le projet est ainsi né de la rencontre d’Olivier Peyon, scénariste et réalisateur de documentaires, avec le père de son ami dessinateur Livio Bernardo. Avant d’entamer cet ouvrage on pourrait s’attendre à quelque chose de lénifiant voire plombant. Or il n’en est rien, bien au contraire. La narration est très dynamique, éloignée de tout pathos inutile. On sourit souvent en voyant ces « vieux fourneaux » forts en gueule et attachants, qui souvent ne sont pas d’accord entre eux et le font savoir, mais unis par une même cause, le droit à mourir dans la dignité. Courageux, ils n’hésitent pas à braver la loi pour aider des mourants à partir, en toute bienveillance, mais également lucides, car ils savent que c’est leur propre mort qu’ils affrontent par leurs actions, et celle-ci n’est pas une perspective très éloignée…
Mais c’est avec deux personnages-clé que l’intérêt du récit va se trouver renforcé. Deux personnages jeunes qui veulent mourir, mais pour des raisons diamétralement opposées. D’un côté Vincent, un jeune ambulancier qui n’arrive pas à se remettre du départ de sa copine et veut en finir. Tel un cheveu sur la soupe, Vincent va se mêler aux « vieux schnocks » de l’association, déterminé à tirer sa révérence. Ces derniers, désemparés, vont tenter d’en dissuader le jeune homme, beau gosse en pleine santé, contrairement à Eléonore, qui, à 35 ans, a l’air d’une vieillarde grabataire. Atteinte d’anorexie depuis l’enfance et détraquée par les traitements, le visage marqué par la souffrance, celle-ci semble avoir des raisons légitimes d’en finir. La rencontre avec Eléonore va forcer Vincent à relativiser son propre mal-être, lui qui en outre sera chargé par les membres de l’association de donner la « mixture spéciale » à la jeune femme candidate au départ vers l’au-delà… Ce qui donnera lieu aux séquences les plus poignantes du livre.
Le dessin de Livio Bernardo reste axé principalement sur les visages, souvent en plan très rapproché. Son trait épais leur confère une expressivité qui vous saute à la figure et s’affranchit totalement des cases, devenues inutiles. Pour les scènes nocturnes, Bernardo recourt à un lavis de bon aloi, avec quelques touches de couleurs extrêmement rares, qui par exemple souligneront ce fameux jus d’orange, poison mortel à la couleur solaire.
Dans une société qui cherche à masquer la décrépitude par une ode publicitaire constante à la jeunesse éternelle et qui camoufle ses vieux dans des EHPAD, véritables antichambres industrielles de l’au-delà, la mort n’est pas un sujet populaire. On peut pourtant en parler sans pour autant plomber l’ambiance, la preuve avec cet album qui s’avère être une belle célébration de la vie. Son mérite est de dédramatiser le sujet, plaidant pour le droit à une mort douce, épargnant aux accompagnateurs les ennuis judiciaires, sans les affres de la culpabilité imposée par deux millénaires de catholicisme condamnant à l’enfer les suicidés. Car il faut tout de même le rappeler, l’Eglise a longtemps refusé de célébrer les obsèques d’un fidèle s’étant donné la mort, le suicide étant considéré par le code de droit canonique comme un péché… mortel. Si l’on considère que l’on peut décider de sa vie, on doit aussi pouvoir décider de sa mort, et « En toute conscience » est là pour le démontrer, de façon humaine, sans discours pompeux et stériles. Simple, basique. Amen et point final.