Forget Sorrow
7.8
Forget Sorrow

BD (divers) de Belle Yang (2016)

Belle Yang est née à Taïwan en 1960. Sept ans plus tard, ses parents émigrent aux États-Unis où elle va grandir et faire ses études, acquérant la nationalité américaine. Elle réalise ce qu’elle nomme elle-même sa « trilogie mandchoue », deux sous la forme de récits illustrés et le troisième, de 2010, qui nous intéresse aujourd’hui, en bande dessinée.


orget Sorrow narre ainsi les doubles origines de la création : à la fois ce qui a déclenché le geste d’écriture et la matière dont s’est servie Belle Yang, à savoir le récit par son père de l’histoire de sa famille. Mais il aura fallu pour cela que la jeune femme retourne vivre chez ses parents suite à un drame personnel.


Son petit ami, violent, la harcèle, et sa vie se trouve rapidement réduite aux murs de la maison parentale et aux échanges avec sa mère et son père. Les rapports de Belle avec dernier s’avèrent si houleux que tous deux détournent de concert cette tension sur le récit de la vie chez l’arrière-grand-père, en Mandchourie, pendant et après la Seconde Guerre mondiale.


Nous assistons dès lors au subtil tressage de deux récits noués entre eux dont le cœur rayonnant concerne l’enfance du père dans la propriété mandchoue de son grand-père. La réunion des quatre fils sous le toit du patriarche, au début des années 1940, pose la trame d’une chronique à travers laquelle Belle Yang nous raconte les mutations de la Chine, celles de l’après-guerre et celles que Belle a pu vivre lorsqu’elle a étudié à Pékin à la fin des années 1980.


ais ce faisant, le geste narratif opéré par la dessinatrice prend d’autres significations et déborde du projet initial de la chronique. Ce geste vaut d’abord réconciliation avec son père, déraciné avec lequel elle se sent en rupture. Et l’attention portée aux tensions entre son grand-père et son arrière-grand-père, dont son père était le témoin privilégié, évoque en creux les tensions vécues sous le toit américain.


Mais ce travail vaut aussi et surtout comme réconciliation de l’auteure avec elle-même, la création devenant procédé de résilience : c’est en se saisissant de son histoire familiale que la jeune femme réévalue son histoire personnelle, intime, le trauma infligé par sa relation avec « Œuf Pourri », le bien nommé. Le cheminement devient l’accomplissement d’une forme de renaissance par la mise en images et en mots.


Et cela passe par une utilisation du noir et blanc, avec un trait un peu brut et l’utilisation d’aplats sensibles pour donner de l’épaisseur aux émotions. La forme et le sujet, cet entrelacs des drames familiaux et historiques, évoquent immanquablement, chez le lecteur francophone le Persepolis de Marjane Satrapi ou encore, dans une veine assez proche, Zeina Abirached, à qui l’on doit dans la même veine le récent et magnifique Piano oriental, qui d’ailleurs recommande chaudement le récit dans une jolie préface. Avec un penchant net pour la scène et l’illustration plutôt que pour l’action et l’enchaînement dynamique.


Mais l’inspiration, la filiation ou la parenté seraient davantage à chercher, si l’on en croit Paul Gravett, du côté du Maus de Art Spiegelman, et, au-delà du poids de l’Histoire dans ce récit, du fait de la relation entre l’auteur(e) et son père qui se révèle à travers la narration.


Il y a, de toute façon, dans toutes ces œuvres, un même souci de poser dans le trait l’expression d’une souffrance à la fois individuelle et collective, proprement mémorielle.


Chronique originale, et illustrée, sur actuabd.com

seleniel
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le 3 juin 2016

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seleniel

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