Goyô
7.3
Goyô

Manga de Natsume Ono (2005)

Natsume Ono est une mangaka connue pour son trait atypique, et d’une certaine manière pour ses personnages de « vieux beaux », qui plaisent à une certaine frange du lectorat (même s’ils apparaissent surtout dans ses deux autres séries publiées eu France).
Ce trait, reconnaissable entre mille, pourra surprendre au premier abord ; peut-être pas au point de rebuter le lecteur, mais il demande malgré tout un léger temps d’adaptation. Sa grande force, c’est d’apporter du cachet à l’œuvre, de la différencier du tout-venant dont le dessin parait parfois identique d’un mangaka à l’autre. Cela aide aussi quand il s’agit de reconnaitre les personnages les uns par rapport aux autres.


Goyô réussit un drôle de tour de force, en mélangeant récit historique, œuvre contemplative, étude de personnages, et roman noir.
L’aspect historique se remarque dès la couverture. Nous distinguons d’entrée que nous avons à faire au Japon du passé, et plus exactement à l’ère Edo, époque à laquelle le pays est enfin unifié avec Edo (futur Tokyo) comme capitale, mais avec aussi un système de castes bien précis et des règles parfois drastiques à respecter. La mangaka ne cherche pas ici à nous la décrire, mais plus à l’inscrire en filigrane ; les personnages doivent jouer avec les spécificités de leur temps, celles-ci vont de soi donc il est inutile de s’attarder dessus, c’est donc le récit lui-même qui nous permettra de les appréhender. Kana n’a pas cherché à franciser les termes à outrance – contrairement à ce qu’ils font sur Gamaran, qui il est vrai ne vise pas le même public – et les accompagne d’explications et de définitions.


Le côté contemplatif provient de l’absence de scènes d’action spectaculaires. C’est plus un titre cérébrale. La présence de samouraïs dans les manga est traditionnellement synonyme d’affrontements, mais il sera plus ici question de mœurs, de politique, et bien entendu de relations entre les protagonistes ; il reste bien quelques échauffourées, mais cela ne constitue pas pour autant un aspect majeur de la série.
Les personnages, justement, sont une bande de marginaux, les Goyô, dans laquelle nous trouvons le mystérieux Yaichi, l’orfèvre et ancien voleur Matsu, la belle O-Take et ses manières de courtisane, un gérant de taverne nommé Ume, et enfin Masanosuke. Ils ne sont évidemment pas seuls, mais donnent leur nom au titre ; Masanosuke étant d’une nature curieuse, il va chercher un peu malgré lui à se renseigner à leur sujet, à découvrir leur passé et ce qui les lie, et finir par mettre à jour des parcours chaotiques mais des caractères qui évoluent au contact du groupe.


Enfin, ce que j’appelle ici le roman noir correspond à l’intrigue sous-jacente. Le but de l’auteur n’est pas seulement de dévoiler les petits secrets de chacun, mais aussi de nous les présenter à travers une authentique histoire de brigands et de malfaiteurs de l’époque Edo. Les Goyô réalisent des enlèvements et rançonnent de riches familles, en misant tout sur l’obligation de celle-ci de ne rien révéler afin de ne surtout pas perdre la face. Leurs passés troubles viendront aussi régulièrement s’immiscer dans leurs affaires, et ainsi, tous les éléments permettent d’obtenir cet ensemble qu’est Goyô.
Le scénario parait parfaitement maitrisé par l’auteur, dans la mesure où il ne semble ni trop long, ni trop court ; en 8 tomes, il traite tout ce qu’il avait à traiter, sans se précipiter ni trainer, et apporte une conclusion des plus satisfaisantes. Un peu comme si l’auteur savait à l’avance combien de temps elle pourrait continuer, un phénomène pourtant rarissime dans les manga ; d’où l’importance de le citer parmi les atouts, car les séries inutilement rallongées ou arrêtées en plein vol par l’éditeur nippon ne manquent pas (avec des conséquences parfois désastreuses).


Natsume Ono crée ici une véritable alchimie, faisant de Goyô un titre à la fois reposant, instructif, dans lequel nous nous prenons d’affection pour les protagonistes, et qui nous donne donc envie de savoir ce qui va leur arriver. Il s’agit pourtant de criminels, mais de criminels au grand cœur ; ils ressemblent un peu à des Robin des Bois modernes… sauf qu’ils gardent le fric à la fin.
Si vous cherchez une histoire de samouraïs avec des sabres et des têtes tranchées, passez votre chemin. Ce titre-là est lent, pas forcément dénué de violence mais une violence plus psychologique, plus issue de la société elle-même. Pour autant, j’ai été réellement happé par le rythme de ce manga, par son ambiance à la fois zen et sombre, si bien que j’ai enchainé les volumes comme si j’avais entre les mains le dernier-né du Shônen Jump.
Étrangement, Goyô compte parmi ces quelques séries qui s’apprécient tout autant en manga qu’en anime ; le studio responsable de l’adaptation a parfaitement su retranscrire l’ambiance élaborée par l’auteur, en renforçant au passage l’aspect contemplatif et en offrant à l’ensemble une direction artistique mémorable. Je vous recommande chaudement les deux versions.

Ninesisters

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7

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