Gunnm
8.1
Gunnm

Manga de Yukito Kishiro (1990)

L'Arlésienne, celle dont tout le monde parle mais qu'on ne voit jamais. Voilà ce qu'aura été pour moi Gunnm. Un ectoplasme dont je ne devinais jamais la forme et dont je ne me serais jamais douté du fond, un mystère éditorial que contribuaient à mythifier autant de mes abonnés dans les messages qu'ils m'adressaient. De ce chef d'œuvre - dit-on - signé Yukito Kishiro, on m'en avait fait un portait parlé. De tous les témoignages qui me parvenaient, l'emphase ne tarissait jamais. Gunnm était ce Seinen révolutionnaire et bouleversant duquel seule la lumière pouvait émaner pour aveugler son lecteur de mille éclats. Que mes abonnés - ceux qui attendaient impatiemment cette critique en tout cas - me pardonnent, mais cette lecture, je l'aurais entreprise avec une paire de lunettes de soleil sur le nez ; qu'ils me pardonnent car j'ai vu par-delà des éclats.


De ce portrait parlé qui m'en avait été fait de part et d'autre, je me représentais déjà la Joconde. Quelques pages plus tard, j'ai compris que cette Joconde-ci avait été peinte par Picasso. Des pardons, je n'en implorerai jamais assez à ceux qui attendaient de moi que j'encense Gunnm à outrance, jusqu'à peut-être me perdre dans autant galimatias inspirés par une passion dévorante qui m'aurait animée. Non, décidément, le courant n'a pas pris.
On m'avait présenté l'Arlésienne en attendant de moi que j'en fasse un beau mariage et je la poignarde d'emblée en plein cœur. À raison cependant.


De tout ce sur quoi on avait insisté pour me la présenter, les dessins ne manquaient jamais d'être mentionnés par ceux-là même qui les révèrent. Eh bien je ne leur ai rien trouvé de charmant. Un regard averti et attentif sera - je pense - forcé de reconnaître que Gunnm n'a pas sa place parmi les trois premiers déciles de ce qui se fait de meilleur - graphiquement parlant - parmi les Seinen de l'époque ou bien d'aujourd'hui. C'est au-dessus de la moyenne, cela, je l'entends bien, mais ça n'est qu'au-dessus de la moyenne ; la chose n'est pas méritoire en soi. Il y a ce qu'il faut de détails, un style personnel, mais dire qu'il y a bien plus que cela... ce serait déjà se fourvoyer.
Sans doute suis-je trop profane des choses du dessin pour évaluer correctement le génie du coup de crayon de son auteur, mais je ne lui ai simplement rien trouvé, rien même qui ne valait la peine d'être considéré comme mémorable.


Pas même l'univers n'aura trouvé grâce à mes yeux. Mais à mes yeux seulement, car je suspecte fortement les studios Square de s'en être abondamment inspirés pour la confection de Final Fantasy VII. Si je n'ai pas compris comment Kishiro avait pu avoir une quelconque influence sur ce qui lui succéda, j'observais néanmoins qu'influence il y avait eu. Ceux qui chercheraient à me ramener à la raison, à me faire revenir sur ma note, me diraient alors qu'il n'y a pas de fumée sans feu ; qu'une œuvre n'inspire ses contemporains que si elle a beaucoup à faire valoir... je répondrai alors que si un feu il y a, il tient plus d'une torche qui éclaire que d'un incendie qui flamboie.
Qu'à-t-il au juste cet univers ? Lui qui a pourtant tout du fatras post-industriel et crade qui ne saurait en principe que me ravir m'indiffère. Ce monde n'apparaît ici qu'en surface, il n'est jamais véritablement approfondi. On en connait les contours sur lesquels on rognera un tantinet, mais de ce qu'ils recouvrent, on ignore tout ou presque. Un Dorohedoro par exemple - œuvre avec laquelle je décèle une proximité au regard de certaines planches - fait autrement mieux l'affaire au regard de son univers en étant amplement plus construit. Même un F.M.A à la rigueur - dans un contexte différent - s'illustre plus favorablement sous la plume de son auteur. Quant à ceux qui, de Gunnm, n'en auront retenu que l'aspect science-fiction - bien trop peu exploité - un BLAME! le coiffera au poteau sans même avoir à ciller.
Kishiro n'aura pas développé son univers, n'en abordant au mieux qu'un pan exclusif et restreint. La violence ici prévaut sur l'élaboration du cadre dans lequel elle se déverse aveuglément.


Car si ce n'est pour se confondre en un déballage de brutalité bourrin et informe, les prothèses cybernétiques n'aboutissent à rien d'autre. Il n'y a pas même un semblant de sophistication dans l'usage que leur attribue l'auteur. Non mes bons sires, ce n'est pas un Seinen mature et construit qui se lit là, mais un Shônen plus violent et mieux dessiné que la moyenne. Un bon Shônen cela dit. En tout cas, au regard des critères actuels ; mais un Shônen toutefois, qui peine en plus à transgresser les codes du genre qui l'emprisonnent.


Les codes Shônen clignotent comme autant d'indicatifs peu rassurants sur le tableau de bord. Des antagonistes ? Le mot est fort pour ce que ces derniers recouvrent. Si ce n'est mille golgothes robotisés, violents et stupides, baveux quand ils ne mangent pas de cervelles, je n'aurais guère vu quoi que ce soit d'autre en dehors du scientifique fou apparemment contraint d'être présent pour respecter les conventions du genre. Ces antagonistes caricaturaux ne seront que des objectifs désignés à Gally par une narration bien fainéante ; des objectifs qui n'engagent le plus souvent à rien et qui y mèneront sûrement. Nous voilà engagés sur une piste narrative connue ; trop connue.


Un esprit chagrin comme le mien pourrait voir en Gally une Aralé au carré, l'humour de Dr. Slump ici troqué contre une atmosphère brumeuse et bêtement violente. Gally est au premier rang du peloton des protagonistes au caractère bien peu trempé. Elle est cette gentille gamine au grand cœur fruit du labeur d'un niais bienveillant, tous deux en proie à l'injustice d'un monde cruel et qui n'hésite pas à se montrer comme tel. Kishiro, la nuance, il connait pas. Il y a les gentils, il y a les méchants et entre le noir et le blanc, le gris n'a pas sa place. Le calcul a le mérite d'être simple à poser mais plus encore à élucider, j'en ai bien peur.
C'est d'autant plus difficile de s'intéresser à Gally qu'elle est quasiment seule au centre de la scène, ne partageant l'affiche que bien rarement, encore et toujours mise en valeur jusqu'à ce que la lassitude du lecteur ne guette. Qu'il est difficile d'apprécier un personnage principal remportant chaque victoire et ne laissant jamais la part belle au moindre personnage secondaire.


En dépit de la légèreté du traitement d'un ton pourtant supposé plus grave qu'il n'y parait, l'auteur aura parfois su viser juste.


J'aurais particulièrement apprécié que Yugo meurt à l'issue de l'arc qui lui était consacré. Enfin, pour la première fois dans l'intrigue, tout n'allait pas de soi pour le lecteur et on prenait enfin le parti de le secouer un peu. Pas trop cela dit ; Kishiro ne transformera jamais l'essai pourtant concluant qu'il avait brillamment délivré. Gunnm, ça aurait pu être mature, ça aurait pu, cela, je lui concède.


Pendant un temps, Kishiro aura amorcé une bonne dynamique, une correcte dirons-nous alors qu'enfin, on se laissait porter par quelques relents d'intrigue plus épais et conséquent capable de nous saisir. L'arc du Motorball est à mon sens le Sommet de Gunnm. Le sommet, celui qu'on peine à atteindre et qui, une fois effleuré, implique fatalement que la suite du parcours ne se fera qu'en descente.
L'amour égoïste de Ido pour Gally, prêt à tout pour la briser afin qu'elle lui revienne aura - l'espace d'un court instant - épaissi le cuir du personnage et affiné sa personnalité jusque là particulièrement effacée. Ces menus développement n'aboutiront cependant pas à grand chose puisque Gally et Ido se tomberont dans les bras de l'autre en guise de prévisible conclusion. Dans un Shônen - même si l'œuvre ne s'accepte pas comme tel - les bons sentiments prévalent toujours sur le reste, y compris et surtout la qualité narrative de l'ouvrage.


Un savant-fou, des morts qu'on ramène à la vie par magience, des histoires de karma à coucher dehors.... la parenthèse du Motorball vient de se refermer ; on retourne au turbin. Gally comme mercenaire de Zalem (et pas sorcière de Salem) après son combat contre Zapan sonne un changement de cycle bien moins haletant qu'il ne l'était auparavant ; l'action paraît maintenant fébrile, insuffisante. Gunnm ne reposait initialement que sur la béquille de la violence criarde, si cette dernière venait à vaciller, le manga ne pourrait alors plus que se casser les dents contre le parquet. Ce qu'il fit le plus logiquement du monde. La chute fut lente, mais l'issue certaine.


Car il ne fait aucun doute qu'on se perd sur la fin ; la fin couvrant au bas mot le tome quatre à neuf. Ce n'est pas tant que l'histoire soit complexe mais inintéressante au point où rien ne nous pousse à nous y engager en tant que lecteur. Césure il y a bien eue passé le volume quatre comme le rapportent même les critiques positives ; la lecture se fait maintenant passive, ronflante... somnolente.
Quand certains auront attendu de tutoyer le génie avant finalement de s'affaisser, Yukito Kishiro , lui, ne se sera pas donné tant de peine. Ne nous y trompons pas, le meilleur ici ne se suggère que par contraste par rapport au pire ; avant d'avoir été mauvais, Gunnm n'aura été que passable.


Alors le désastre Shônen n'en finit pas de s'accomplir. Chaque personnage introduit ou presque a la trempe d'un rejeton de Shônen, la palme du genre revenant à Koyomi. Bien vite, on en vient à regretter les bourrins décérébrés des débuts. Qu'ils seront pauvres ces personnages, tout juste bons à servir une intrigue qui le fut tout autant malgré sa complexité de façade. On le sent bien, l'auteur a pris conscience sur le tard que son succès d'estompait et essaiera désespérément de renouer avec.... jusqu'à ramener Jasugun le temps d'un rêve. Peut-être Kishiro espérait-il qu'avec l'emblème de son meilleur arc narratif sur le devant de la scène, l'engouement renaîtrait comme alors. Le calcul était naïf, l'effet de manche dérisoire et tombant à plat, comme de bien entendu.


Il m'aura fallu en lire des critiques pour tenter de comprendre - en vain - l'engouement pour ce mythe sans gloire. Gunnm est correct à ses débuts pour finir par se perdre dans des méandres scénaristiques stupidement alambiqués ; précisément comme savent l'être tous les mauvais Shônens.
La conclusion de l'œuvre parachève admirablement la démonstration de Kishiro ; il n'avait pas idée de là où il allait et aura baratiné son lecteur d'ici à ce qu'il aboutisse à une fin sans grâce ni signification particulière. À quoi bon en finir d'ailleurs quand on sait que l'auteur se confondra dans une succession frénétique de suites navrantes ? Des suites décevantes de l'aveu même de ceux qui ne jurent que par l'œuvre originale. On mesure mieux l'étendue du respect qu'un auteur a envers sa création à la manière dont il s'emploie à la profaner perpétuellement.


Non, il n'y a pas de quoi bâtir une légende avec Gunnm, pas même un succès critique à vrai dire. Je contredis la réalité en écrivant cela mais je dois bien admettre que cette dernière me dépasse. Rien dans les arguments critiques favorables que j'ai pu relever sur SensCritique n'aura su me persuader de l'excellence supposée d'un Gunnm. À dire vrai, je n'ai même pas l'impression d'être passé à côté de quoi que ce soit, j'ai vu ce qu'il y avait à voir, lu ce qu'il y avait à en lire et déploré ce qu'il y avait de déplorable. Une œuvre de plus aura atteint la consécration pour compléter le palmarès déjà bien rempli des mangas les plus surestimés de l'histoire et cela, je le regrette amèrement.

Josselin-B
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le 16 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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