Dans la France de l’Ancien régime vouloir tuer (et, encore pire, y arriver) le Roi est le crime suprême, le monarque étant de droit divin. S’en prendre à lui revient à s’en prendre à Dieu, et l’époque n’était guère favorable aux blasphèmes. La sentence pour toute tentative est une morte lente et douloureuse qui doit servir d’exemple.


Le moine Jacques Clément et François Ravaillac sont restés dans les annales pour avoir fait passer de vie à trépas les rois Henry III en 1589 et Henry IV en 1610, à une époque troublée de l’Histoire de France. Robert François Damiens voulut s'ajouter à ce cercle fermé et tenta de tuer Louis XV en janvier 1759, mais il échoua. Il fut capturé vivant et son supplice public le 28 mars présenta un terrible et horrible spectacle.


C’est cette exécution qui est au coeur du livre de Simon Hureau, rebaptisé Simon Hache pour la sordide occasion. Il s’appuie sur quelques sources authentiques, mais élargit son propos avec quelques fantaisies historiques pour servir son propos. Avec son titre « Hautes oeuvres », sous-titré « Petit traité d’humanisme à la Française », l’ironie sera cruelle, pour pointer du doigt que derrière les grandes qualités dont peuvent se vanter les Français à cette époque des Lumières une certaine barbarie s’y trouvait malgré tout.


De Damiens, l’homme, il ne sera finalement qu’assez peu question, quelques éléments de biographies rapportés par les personnes sur place permettront de glisser quelques points, rien de plus. Quelques anecdotes rapportées ou son comportement présenté lui offrent le statut d’un homme comme un autre, digne quand il le peut encore, mais qui usera ses cordes vocales quand son corps sera torturé. Son supplice est un massacre, une catastrophe, le matériel n’est pas efficace, le personnel inexpérimenté, parfois soul, parfois même pris de malaise devant les atrocités commises. Cette exécution est rapportée par le bourreau Charles-Henri Sanson. Qui aura bien plus de succès des années plus tard quand passeront sous sa responsabilité les têtes de Robespierre, Danton ou Louis XVI.


Rappelons tout de même les conditions du supplice, âmes sensibles s’abstenir : « sur un échafaud qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite tenant en icelle le couteau dont il a commis le dit régicide, brûlée au feu de soufre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix résine brûlante, de la cire et soufre fondus et ensuite son corps tiré et démembré à quatre chevaux et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendres et ses cendres jetées au vent. »


Damiens est un grand gaillard. Il reste éveillé jusqu’au bout, malgré la main brûlée, les plaies recouvertes d’ignominies brûlantes. Son écartèlement qui doit être le clou du spectacle ne vient pas, les chevaux attachés à chacun de ses membres n’arrivent pas à tirer assez fort.


Le public est en masse, ce n’est pas qu’une foule pour décor, plusieurs des personnes présentes commentent la situation. La vue depuis les meilleurs appartements est louée très chère aux amateurs de sensations. La mort de Damiens est un spectacle qui exalte les plus bas instincts. Le Marquis de Sade y trouve de l’inspiration. Des nantis hèlent des prostituées depuis leur balcon pour profiter de leur excitation devant cette vue de mort. La populace prend pitié pour Damiens. Mais quand l’exécution sera terminée et que la foule se dispersera, les gens piétinés seront dépouillés. Un bébé abandonné sera revendu. Il y a ceux qui se vanteront, qui pourront dire à leur famille ou leurs proches « moi j’y étais ». Et le Roi ? C’est à peine s’il se souvient de son assaillant malheureux.


Avec son trait échevelé et en patte de mouches, Simon Hureau trace des contours, des rondeurs, il occupe la page, quasiment absente de cases. Tout forme un ensemble de petites scènes, de petits riens, mais qui sont des morceaux de cette exécution comme Damiens est débité, pour mieux en apercevoir tous les motifs et les sujets. La plus belle page de cet album est cet album en coupe, tout tourné de son côté droit, vers ses balcons pour assister à la scène. Les intérieurs sont majestueux, retranscrits avec une luxe de détails, mais les regards et les commentaires ne vont que vers ce que subit Damiens, entre banalités et réflexions idiotes ou acides. La vie intime et publique dictée par la vue du sang.


Simon Hureau n’est pas tendre, son regard sur l’âme humaine ne vibre pas d’espoirs. Mais il offre un album remarquable grâce à son humour noir et froid, d’une ironie cruelle mais réjouissante. Le spectateur est lui aussi un voyeur de cette piètre exécution et du comportement des gens autour, c’est à lui de prendre le recul pour admirer la farce critique qui est montrée. Dans le Pays des Lumières, à l’époque, comme maintenant, derrière les beaux discours, les belles intentions, les proclamations éclatantes, les bas instincts de mort, de vie, de sadisme sont toujours là.


Une certaine résignation désespérée sur le monde de l'auteur qui peut expliquer ce qui l’a mené vers son Oasis, son jardin personnel et écologique, raconté dans une excellente (oui, encore) bande-dessinée.

SimplySmackkk
8
Écrit par

Créée

le 25 juin 2024

Critique lue 11 fois

1 j'aime

SimplySmackkk

Écrit par

Critique lue 11 fois

1

D'autres avis sur Hautes œuvres : Petit traité d'humanisme à la française - Le Musée insolite de Limul Goma, tome 2

Du même critique

Calmos
SimplySmackkk
8

Calmos x Bertrand Blier

La Culture est belle car tentaculaire. Elle nous permet de rebondir d’oeuvre en oeuvre. Il y a des liens partout. On peut découvrir un cinéaste en partant d’autre chose qu’un film. Je ne connaissais...

le 2 avr. 2020

50 j'aime

13

Scott Pilgrim
SimplySmackkk
8

We are Sex Bob-Omb and we are here to make you think about death and get sad and stuff!

Le film adaptant le comic-book culte de Brian aura pris son temps avant d'arriver en France, quatre mois après sa sortie aux Etats-Unis tandis que le Blu-Ray est déjà sur les rayons. Pourquoi tant de...

le 5 janv. 2011

44 j'aime

12

The King's Man - Première Mission
SimplySmackkk
7

Kingsman : Le Commencement, retour heureux

En 2015, adaptant le comic-book de Mark Millar, Matthew Vaughn signe avec le premier KingsMan: Services secrets une belle réussite, mêlant une certaine élégance anglaise infusée dans un film aux...

le 30 déc. 2021

39 j'aime

12