Eliot Parsley est détective privé, comme dans les vieux romans noirs de la littérature américaine, celle qui a inspiré de nombreux classiques du cinéma. Eliot arrive à Heartbreak Valley alors qu’on annonce que c’est à cet endroit que la prochaine éclipse de soleil sera la mieux observée. A la demande des parents, il est à la recherche d’une jeune femme dénommée Jenny Moore. Son enquête est commencée depuis un bout de temps, à tel point qu’à force d’avoir recueilli des témoignages, il a l’impression de bien connaître Jenny alors qu’il ne l’a jamais vue.
Au moment de l’éclipse, les événements prennent une tournure étrange, comme si Heartbreak Valley se trouvait soudainement isolée du reste du monde dans une sorte d’espace-temps du rêve (ou du cauchemar) où les uns et les autres se comportent selon une logique déformée par rapport à ce qu’on pourrait appeler la réalité. Cette sensation est renforcée par le dessin qui recherche plutôt la simplicité de la forme, tout en affichant une réelle recherche esthétique. Eliot fait quelques rencontres, son enquête prend un tour inattendu et il trouve une sorte d’allié en la personne d’un évadé de prison dans son costume à rayures noires et blanches. Outre cet évadé de prison, Eliot aura affaire (entre autres) à un pendu qui s’agite encore, des gangsters, un aveugle et la mystérieuse Leah, ce prénom étant un hommage à la chanson éponyme de Roy Orbison (présente sur l’album Oh, Pretty Woman) dont certains épisodes dramatiques de sa vie ont visiblement inspiré Simon Roussin pour ce one-shot qu’il signe sans la moindre collaboration, fièrement soutenu par les éditions 2024 (voir la lettre au lecteur sur le site Internet).
Comme dans la plus pure tradition des romans noirs (Le grand sommeil), l’intrigue se révèle assez labyrinthique, contrairement à la première impression (dessins pas spécialement fouillés, au niveau des visages et des paysages notamment). La lecture révèle rapidement certaines complexités. Ainsi, Eliot s’exprime dans une sorte de voix off (en caractères d’écriture manuscrite appliquée), tandis que l’action avance (dialogues en caractères majuscules classiques), les deux n’ayant pas de rapport direct. Il faut donc rester bien attentif pour suivre. Et puis, les rencontres et péripéties se succèdent et tout s’enchaine de façon à entrainer de nouvelles associations d’idées dans les réflexions d’Eliot. On peut s’y perdre.
Heartbreak Valley est imprimé en bichromie (sur papier Munken Print Cream de 115 grammes) ce qui, avec la technique de dessin utilisée, donne un rendu très particulier. Le dessin est en noir, blanc et trois nuances de gris. Dans chaque case, ces nuances sont réparties dans des zones du dessin délimitées par un fin trait noir. Rendu assez géométrique (en privilégiant les courbes) et stylisé qui donne un charme rétro convenant parfaitement. Format 31,5 x 21,5 agréable, pour 74 planches qui peuvent se déguster assez rapidement, puisque le texte n’est pas envahissant. Organisation générale bien étudiée, avec des parties essentiellement narratives où les vignettes se succèdent assez classiquement et d’autres où le dessinateur aère son récit par des dessins de plus grande taille, dont 8 en pleine planche.
Sans être géniale, cette BD vaut largement le détour.