Franquin, en pleine dépression, dessine avec les Idées noires une de ses bandes dessinées les plus mordantes, incisives, cruelles. Fustigeant tour à tour la bêtise humaine comme la méchanceté du monde, Franquin enchaîne les gags sombres, jouant avec nos angoisses et/ou nos défauts. Ça fait rire, certes, mais ça fait rire jaune, ou noir, c'est selon.
La série s'inscrit dans une période historique bien spécifique, les années 80, avec une guerre froide latente, un idéal politique de gauche perdue, une droite "Reaganienne" au capitalisme triomphant, les prémices de la mondialisation, de ses conséquences sur le bas peuple... Quelques gags sont plus intemporels ou s'inscrivent dans un univers d'imaginaire ou de SF.
Chaque histoire est donc une invitation sur les angoisses de l'époque, mais également la cruauté humaine et le militarisme absurde, insupportable à Franquin.
Je me suis toujours demandé combien de litres d'encre de chine Franquin devait utiliser pour chacune de ses planches, tellement chaque case déborde de noir. Un peu de blanc persiste, certes, pour discerner les silhouettes et les décors mais foncièrement, Franquin aurait peut être gagné à user d'encre de chine blanche sur Canson noir !
Graphiquement, c'est juste magnifique. Les personnages sont crasseux, comme recouverts de suie, leurs rires sont vulgaires, leurs yeux gluants. Les villes sont tortueuses, inquiétantes, monstrueuses.
A lire absolument, mais évitez d'être déprimé, ou gardez vous un Gaston de côté, pour vous remettre le moral au beau fixe ensuite.
Cela vient sûrement d'une tendance à la dépression qui n'était pas mortelle car ce sont tout de même des gags pour faire rire, non ?
(André Franquin)