À mon sens, Ikigami n'aurait dû s'appréhender que comme une succession d'histoires dramatiques et émouvantes où le personnage principal n'aurait été que l'élément déclencheur de chacune d'elles. Très similaire à Battle Royale dans l'idée initiale, Ikigami se déroule dans ce qui s'apparente à un présent teinté d'un totalitarisme mou. Nulle question ici d'envoyer les mouflets pour qu'ils s'équarrissent joyeusement sur une île une fois l'an. Non, là, on implante chez chaque rejeton un vaccin qui donne une chance sur mille de mourir entre 18 et 24 ans. C'est très gratuit dans l'idée.


Bien que l'objectif réel d'une pareille mesure s'avère vaguement plus pertinent que celui initialement affiché, ce concept laisse un arrière-goût âcre dont on ne parvient pas à se défaire aussi longtemps que se poursuit la lecture. Officiellement, cette mesure politique viserait à valoriser la vie humaine des citoyens qui, soumis à la perspective d'une mort prématurée, sauraient mieux profiter de son existence.
Oui. C'est aussi vaseux que ça. Non seulement ça n'a aucune incidence sur la vie des citoyens, mais on se demande pourquoi ça ne gueule pas plus dans la populace. Les totalitarismes modernes se prévalaient au moins de prétentions quelque peu plus reluisantes - mais tout aussi vaines. Ce postulat nous étant offert à nous, lecteurs, on a, dès le premier chapitre, déjà du mal à avaler la pilule.
Mais cela, j'étais encore prêt à l'accepter. Je comprends que par moment, il faut un prétexte à l'intrigue si l'enjeu en vaut la chandelle. J'en fus en tout cas satisfait dans un premier temps.


Ikigami se veut d'abord un recueil d'histoires courtes. Fujimoto, personnage principal fait irruption dans la vie d'une des victimes à venir et leur remet un Ikigami ; à compter de l'instant où celui-ci est remis, son possesseur se voit notifier qu'il ne lui reste vingt-quatre heures à vivre. C'est à ce moment que Fujimoto s'en retourne à son bureau et que l'aventure commence. Généralement étalé sur trois chapitres à chaque fois, nous suivons alors le parcours de cette victime du programme Ikigami durant ses dernières heures.
Je m'attendais à du larmoyant poussif et j'ai été agréablement surpris. Aucune histoire ne verse dans le pathos gras et collant. Les histoires se veulent toutes dramatiques, mais tout est à sa place. Les réactions varient d'un individu à un autre selon son parcours et l'auteur se renouvelle continuellement. Une telle performance sur dix tomes vaut à l'auteur un certain mérite. Aucune histoire ne m'a vraiment pris aux tripes cela dit ; mais j'ai un cœur de pierre, donc cela vient peut-être de moi avant toute chose. L'Ikigami du photographe m'est en tout cas resté en mémoire. Pas de tire-larme donc, un très bon point. Beaucoup d'autres auteurs seraient tombés dans cette facilité au détriment de la qualité du manga.


Cependant, Ikigami ne s'en tient pas qu'à ce recueil d'histoires courtes. Là est peut-être sa plus grave erreur. Une fois chaque aventure clôturée, Fujimoto rédige le rapport de la victime du programme et un aperçu de sa vie quotidienne nous est offert sur quelques planches. Quelques planches qui, misent bout à bout, tracent son parcours. Un parcours où le doute d'insinue un peu plus après chaque Ikigami délivré.
Que cela était prévisible. Son itinéraire personnel se veut assez peu intéressant. Il rencontre une dissidente qui passera par la case des camps de rééducation, il sera suspecté un temps de connivence avec cette dernière et sujet à une enquête interne du bureau, puis, s'émancipera. Je ne mentais pas en vous disant que cela était prévisible. Le fonctionnaire au cœur pur qui remet en cause le système totalement absurde des Ikigamis, on le voit venir de très loin. Dès le premier chapitre à vrai dire.


Quelques petits retournements de situation (prévisibles là encore), mais rien qui ne nous fasse accrocher à sa trame personnelle qui se veut la toile de fond du manga. Et c'est quand arrive la fin de l'histoire que l'on réalise à quel point l'auteur n'aurait pas dû chercher à développer l'histoire de ce pays totalitaire déjà bancal pour commencer.


Fujimoto se fait piéger par son collègue et déclenche malgré lui une guerre avec une nation voisine (tout est confus, rien n'est réellement nommé, ou du bout des lèvres... on ne parvient même pas à être intéressé par les considérations politiques en arrière-plan) en dévoilant une information top-secrète. Il s'avère qu'en réalité, le programme Ikigami avait vocation à terroriser la population et, le jour venu d'une guerre, proposer un remède à la jeunesse en échange de sa conscription volontaire dans l'armée afin que ceux-ci acceptent docilement.
C'est certes un peu plus élaboré que le prétexte gnangnan du «Pour mieux profiter de leur existence», mais ça reste tout aussi con. Plus encore en réalité. Car même une société moins totalitaire telle que la IIIeme République française était parvenue à imposer la conscription obligatoire à l'ensemble de tout son territoire afin de mobiliser des troupes.
Pas besoin de trésors d'ingénierie bureaucratique pour envoyer tout ce beau monde à la guerre. Quelques petits mensonges, ce qu'il faut de pathos et la menace du peloton d'exécution suffisent. Il n'y avait pas lieu de sacrifier un millième de la jeunesse locale durant des décennies pour établir un plan bancal qui, au final, recrutera certainement moins qu'une conscription obligatoire.


Fujimoto, après être passé par la case camp de rééducation suite à la divulgation de l'information secrète, ressort l'esprit lavé. Il défait le formatage idéologique moins de vingt-quatre heures après être sorti...
Il s'enfuit avec la dissidente dont il était amoureux. En quittant le port, il admet être impuissant face à tout ce bousculement géopolitique ainsi que la guerre en cours et préfère fuir, estimant qu'il s'agisse de la meilleure solution. Belle manière pour l'auteur de botter en touche. Tout ça pour ça.
Du principe de l'application de l'Ikigami jusqu'au moindre petit détail politique de la société totalitaire dans laquelle évoluent les personnages : tout aura été maladroit et aberrant. Oui, Motoro Mase aurait clairement mieux fait de s'en tenir à l'itinéraire personnel des victimes de l'Ikigami sans chercher à doter son œuvre d'un verni pseudo-complexe qui finira comme un pet foireux.


Lisez les deux premiers tomes. Si ce qui vous est présenté ne vous plait pas, ne poursuivez pas, le reste étant du même tonneau. À zyeuter toutefois. On a tous, je crois, une histoire d'Ikigami qui finit par nous toucher personnellement et aucune ne se veut ennuyante ou exagérée, tout est correctement dosé de ce côté là.

Josselin-B
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le 15 déc. 2019

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Josselin Bigaut

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