Pipaluk est une jeune fille qui vit au Groenland. Aujourd’hui, alors qu’elle constate la disparition d’Ivalu, le pays reçoit la visite de la reine du Danemark, qui vient voir une ancienne colonie. Pour l’honorer, les jeunes filles portent leur joli (couleurs notamment) costume national. Celui de Pipaluk étant malheureusement devenu trop petit, son père l’a vendu.
Les Danois Morten Dürr (scénario) et Lars Horneman (dessin) proposent avec Ivalu (124 pages) une BD que certains classeront du côté des albums jeunesse, mais dont le contenu évoque néanmoins des faits qui ne concernent pas que la jeunesse, loin de là. Ceci dit, le peu de texte et la clarté du trait montrent que l’album est pensé pour être accessible à un public relativement jeune, disons adolescent. Le scénario se montre d’une belle intelligence et affiche une progression tout en finesse, qui correspond à la prise de conscience de Pipaluk. Ainsi, observant Pipaluk et Ivalu ensemble, on hésite un bon moment à les voir sœurs (Ivalu étant la plus grande) ou bien mère et fille. Cette ambigüité persiste au moins jusqu’au moment (passé proche datant de la Confirmation d’Ivalu) où Pipaluk observe le regard qu’un jeune homme du nom de Miki porte sur Ivalu, regard que Pipaluk trop jeune ne peut identifier clairement. À la réflexion, elle a observé un autre regard comparable sur Ivalu. L’album propose donc une lecture (entre autres symbolique), qui pourra échapper à un public trop jeune. Ainsi, dès les premières images, on voit un corbeau, oiseau de malheur comme dans les albums de Comès, s’approcher de la ville. D’ailleurs, Pipaluk va observer ce corbeau dans l’un de ses rêves virant au cauchemar, le dernier comportant des dessins avec une créature à l’aspect très menaçant, les couleurs sombres contrastant avec un rouge sang particulièrement significatif. D’autre part, l’un des thèmes majeurs de cette BD est la domination. Celle qu’on observe dans le domaine familial est à mettre en parallèle avec celle exercée par le Danemark sur le Groenland. Ce n’est donc pas un hasard si l’action se situe au moment de la visite de la reine du Danemark. Ajoutons que Pipaluk dit que c’est à l’école qu’on leur a annoncé la visite de la reine et qu’à l’occasion les enfants devront revêtir le costume national (elle précise qu’il s’agit d’une obligation).
Aspect esthétique
D’une grande lisibilité agrémentée par un usage des couleurs qui rend justice aux paysages et aux costumes, ainsi qu’à la diversité des coloris des façades de maisons (pas spécialement collées les unes contre les autres), le dessin séduit. L’arrivée du corbeau au-dessus de la ville permet en quelques planches de faire sentir l’atmosphère du coin, même si l’esthétique de l’album enjolive certainement la réalité. Un effet voulu qui permet d’atténuer ce que la réalité comporte de noirceur. Non mentionnée, la ville pourrait être Nuuk, capitale du Groenland, située à l’embouchure du fjord du même nom, environ 240 km au sud du cercle polaire arctique, ce qui explique la présence d’icebergs.
À la recherche d’Ivalu
Quand Pipaluk s’aperçoit qu’Ivalu a disparu dans la nuit, elle la cherche un peu partout, aux endroits où elles ont eu l’occasion d’aller pour s’amuser. C’est bien vu, car la situation permet, assez naturellement, de montrer différents lieux aux alentours de la ville. D’ailleurs, sans surprise, la BD utilise des couleurs différentes (sépia et noir) pour toutes les actions situées dans le passé (proche ou bien un peu plus lointain).
Le secret
La BD peut se lire facilement (1 quart d’heure en ce qui me concerne), et l’histoire de Pipaluk fait son effet pour imprégner les esprits. Finalement, Pipaluk se constitue un secret. On sent le danger de sa réaction face à un drame qui la touche de près. L’album atteint donc son but en faisant comprendre que face à ce type de situation – insupportable -, la réaction saine (et vitale) est d’en parler.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné