Malgré son statut de « classique des comics », j'avoue que j'avais assez peur en entreprenant cette lecture... J'avais certes hâte de lire ma première (bonne) histoire de Superman, surtout qu'on me promettait un héros travaillé, loin des clichés habituels, mais le fait de savoir que le récit présentait une grosse partie des super-héros DC me faisait craindre le pire : comment construire un scénario cohérent avec une centaine de personnages différents ? Surtout que je n'aime pas trop cet aspect « ligue de surhommes », préférant 1000 fois des héros solitaires, généralement moins ridicules.
Coup de maitre de Mark Waid : son crépuscule des super-héros, loin d'être niais ou anecdotique, est bel et bien une lecture indispensable pour toute personne s'intéressant de près ou de loin aux comics ! Effectivement, personne encore n'avait pensé à écrire la dernière histoire de Superman, Batman, Wonder Woman, Green Lantern et tous les autres. Véritable Ragnarok, le combat final sera précédé d'une passionnante réflexion sur le principe du super-héros, de la violence, de la responsabilité des Hommes, du refus de notre identité profonde, etc. Aussi explosif que cérébral, le scénario de Waid nous transporte dans un futur proche presque crédible malgré les centaines de clowns peinturlurés que nous croisons, et ce, pour une simple raison : cette bande-dessinée a une âme. De toute évidence passionné par son sujet et incollable, Waid nous ressort plus de 70 ans d'histoire DC à travers une suite de clins d'oeil et de références si nombreuses qu'il est presque impossible de toutes les saisir. Personnellement, j'en ai à peine capté un quart, mais cela ne m'a posé aucun problème de compréhension tant lesdites références sont subtiles et dispensables à la compréhension du scénario.
Parlons-en d'ailleurs, du scénar' : véritables montagnes russes, les situations rencontrées sont tantôt épiques, tantôt intimes et introspectives. Ainsi, un vieux prêtre torturé par des visions funestes nous guide à travers des évènements à l'ampleur biblique, garant d'un point de vue profondément humain qui aurait pu manquer sans cela. Explorant la psychologie des personnages principaux d'une manière magistrale, Waid nous livre des facettes inédites de certains d'entre eux- particulièrement Superman, décrit comme un être sombre et tragique, presque shakespearien. Les très bons dialogues renforcent un monde mature, dépressif et paradoxalement pas si éloigné que ça du nôtre... En tout cas, l'immersion est totale, notamment grâce aux fabuleux dessins d'Alex Ross que je découvre ici. Jusqu'ici suspicieux par rapport à son hyper-réalisme, j'avoue avoir été conquis. La richesse de ses compositions est en symbiose totale avec le scénario de Waid, simple en surface mais foisonnant d'idées et de références. Chaque héros se voit divinisé par ce Michel-Ange du neuvième art, capable de transfigurer par une technique complexe une évidence graphique qui confine au génie.
Kingdom Come convient potentiellement à tout le monde : à l'amateur de divertissement musclé comme à celui qui recherche de nombreux sous-niveaux de lecture, au néophyte de DC qui apprendra (un peu dans la douleur quand même) une des plus brillantes mythologies de la pop-culture comme à l'expert qui pourra effectuer de nombreux liens stimulants avec des histoires connues, à l'amateur de beau livre comme au curieux désirant parcourir une apocalypse de grande classe si jamais il parvenait à échapper à celle du 21 décembre. De plus, cette édition française de Urban Comics déborde de bonus qui sont, pour une fois, tous intéressants, particulièrement la liste des références tant visuelles que scénaristiques développées par le récit !
Tout est dit : Kingdom Come est une pièce majeure du Temple DC, injustement méconnue, et qui ne pourra que vous enrichir d'une façon ou d'une autre ! On peut certes se demander ce qu'aurait donné l'histoire écrite par Alan Moore, scénariste désigné du projet avant qu'il ne s'embrouille définitivement avec l'éditeur, mais le résultat final me fait dire - pour une fois - que le changement de dernière minute aura finalement peut-être été une bonne chose !