Pour être honnête, cet album de Natacha ne vaut rien. Ou pas grand chose.
Victime d'une genèse compliquée, son récit est ce qui reste d'un projet des années 70, ressuscité autant que possible dans les années 90. Pour cette raison, son intrigue reprend un des clichés du cinéma d'espionnage très exploité dans les seventies et déjà couru en ce temps-là.
L'idée de personnages ou documents fictifs créés pour attirer l'attention de l'ennemi sur tout sauf sur le véritable espion ou les authentiques documents, c'est éculé depuis Amicalement vôtre et ça date au bas mot de 1959, avec La Mort aux trousses,de 1942, avec La Cinquième colonne du même réalisateur ou même, si l'on rejoint l'Histoire, de 1936, lorsque le Général Mola créa le concept de "cinquième colonne" pour déstabiliser ses adversaires et marcher sur Madrid.
Victime d'une genèse compliquée, il est aussi le fruit d'un pari fou: faire fusionner trois ou quatre vieux vieux albums de Maurice Tillieux, accompagnés d'un délire surréaliste tintinesque pour en faire un tout cohérent et vivant. Une bande-dessinée à la Frankenstein (et qui d'ailleurs fait référence au Prométhée moderne: consciente de son apparent défaut ?).
Ajoutez à cela son titre sublime qui n'a d'égal que le vent: l'Ange blond n'est en tout et pour tout qu'une amie judokate de notre hôtesse de l'air favorite, une femme brune dont le sobriquet restera inexpliqué ... Alors qu'il tient bien lieu de titre !


Alors, me dira-t-on, pourquoi l'aimer tant cet album si oubliable ?
Répétera-t-on assez Claudel ? "Un morceau de jade cassé vaut mieux qu'une tuile entière" ?
Oui, c'est dans cette imperfection essentielle que L'Ange blond tire tout son charme: une résurgence géniale d'un temps glorieux dans les aseptisées années 90, un tout hétéroclite qui transporte d'une histoire réaliste à un monde onirique inopiné.
Et, surtout, cela fonctionne ! On oublierait bien souvent le rafistolage, le tissu de fictions qu'on a sous les yeux - n'était le cauchemar de Walter - tant le tout est plutôt cohérent !
L'album est le combat désespéré pour faire vivre une oeuvre laissée aux brouillons, qui n'est plus d'actualité lorsqu'on l' a ressortie et qui, conscient de ce défaut, va chercher à le pallier à force de surenchère: plus de sexy avec Natacha et Betty, une amie inspirée de la pin-up Bettie Page, plus de caricatures - notamment Bettie Page donc mais aussi Renaud ou Dutronc - et plus de caméos de personnages issus d'autres univers. L'acmé de cette surenchère figurant dans l'ultime case d'un passage en totale digression avec le reste de l'ouvrage et qui raconte un songe glauque d'un Walter en mal de digestion.
Une surenchère teintée d'un certain courage ou d'une folie pure car l'album commence tout de même par une case assez déstabilisante dans une bande-dessinée, mettant une forme d'art abstrait au service d'une représentation comique de Londres vue du ciel, perdue dans le brouillard !
De plus, Natacha et Walter sont à Londres et en Ecosse et l'album ne tombe pas dans l'écueil de la carte postale, justement grâce à son caractère composite.
Un défaut donc qui fait toute sa belle qualité, preuve qu'une oeuvre inachevée peut en faire naître une autre, zombie mais enrichie ! Preuve qu'en cherchant à sauver les meubles, on peut aussi parfois les faire reluire.


Pour autant, réside un défaut que je vois plus comme le parfait exemple des dérives contre-productives du féminisme militant et acharné.
Dans ce nouvel album, les rôles classiques sont inversés; Natacha est aussi coriace que Requin, le méchant de James Bond, et son amie Betty met à terre tous les hommes, non par son charme mais à l'aide de ses prises de judo. Elle brise le dos du Capitaine Turbo et envoie valser un gêneur qui fait trois fois sa taille. A contrario, tous les hommes sont des petites natures dolentes et des raisonneurs ennuyants. A l'exemple de Natacha et Betty en mission commando en eaux troubles laissant Walter surveiller leurs affaires.
Mais tout le défaut est là: devenues fortes et bagarreuses, les femmes sont plus que jamais des objets. Non pas des objets de séduction, qui exerceraient tout de même une emprise sur les hommes. Non, des pions qui s'ignorent, au service d'hommes plus intelligents qu'elles, qui les manipulent.Ont-elles vraiment gagné au change ? Non.
Voilà un bel exemple de destruction de l'image de la femme qui s'en voulait pourtant une valorisation ! Une leçon à retenir pour notre cinéma actuel, truffé de femmes "fortes" ? Certainement ! Car, en comparant Natacha dans cet album avec celle des autres albums, on conviendra que la force féminine (et par extension même, la vraie force en général) tient surtout de l'intellect.


Un album intéressant, réussi malgré lui. Le tableau parfait d'un magnifique rattrapage.

Frenhofer
7
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le 12 nov. 2018

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Frenhofer

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