Première partie d’un récit post-apocalyptique en deux épais et – pour ce qu’il m’a été donné de voir sur l’un – beaux volumes, Le Reste du Monde narre l’échappée catastrophique, aussi désespérée qu’essentielle, d’une mère fraîchement célibataire et de ses deux jeunes garçons. Jean-Christophe Chauzy ancre son récit



dans le naturel autant que dans le réel,



y développe avec minutie un trait précis, magnifie ses décors et ainsi joue plus sur le contexte que sur son personnage pour créer la tension et, finalement, parfaitement susciter la curiosité et l’attente.


Il faut évidemment commencer par souligner



l’impressionnant travail graphique.



L’album est un lourd pavé en grand format qui abrite de très belles planches, puissantes et pleines, sombres et dépressives, lumineuses ou alarmantes, mystérieuses et magnifiques toujours. Le paysage à la fois vert et rocailleux des Pyrénées y est dévoilé d’aquarelles dans toute son ampleur : saisissant, ravissant. Sous toutes ses allures, sous toutes ses lumières : les cieux de tempête zébrés d’éclairs posent de fantastiques lueurs inhabituelles sur les roches craquelées. Petit bémol tout personnel, le détail acéré des portraits : là où une certaine rondeur innocente vient innocenter les portraits d’enfants et les emportements instinctifs des bêtes, les visages adultes sont croqués de lignes fermes, aiguisées et cassantes. L’identification au personnage principal s’y perd. Le choix accompagne l’état d’esprit de cette mère mais laisse une certaine distance inconfortable. Bienheureusement, le montage général fascine tant



le dessin brut autant que bienveillant sait jouer du rythme narratif.



Ainsi, le découpage expansif de certaines séquences emporte le lecteur dans le chaos intime de son propre parcours au côté de cette famille apeurée, à la surface fragile d’un chemin pavé de dangereuses ornières sous d’imprévisibles obstacles. Jusqu’à la dernière page, c’est bien cette alternance majestueuse et virtuose des formats, des cadres et des découpages, qui créé toute l’attention dévouée du lecteur immergé.


Le volume s’ouvre sur de belles et luxuriantes planches bucoliques captant le comportement soudain étrange d’un groupe de biches et de faons, d’un troupeau de vaches laitières bientôt. Avant l’arrivée d’un orage noir, dernier jour des vacances estivales, Marie laisse ses fils au village voisin afin de préparer le retour sur Paris au chalet familial. Alors le souffle du ciel creuse la montagne, un séisme apocalyptique isole tout un chacun.
Le Reste du Monde, c’est ce combat maternel insondable pour préserver ses enfants coûte que coûte quelles que soient les circonstances. Personnage au bout du rouleau mais entier, l’héroïne manque profondément d’empathie et il ne lui est pas difficile alors de



sciemment sacrifier son humanité



dans l’unique but d’emmener ses deux fils aussi loin de la catastrophe en cours que possible. Road-trip survivaliste en Pyrénées, le scénario, s’il manque de connexions émotives liées aux personnages, tient, dans une sorte de déséquilibre étudié, à l’universalité de son contexte :



la peur primale de l’isolement, de la compression du monde, de la disparition des horizons.



Et ramène avec évidence les hommes à leur place d’animaux dans un écosystème trop efficacement global pour en distinguer les innombrables failles à leur propre échelle locale.


Au cœur d’une œuvre qu’il me reste à explorer, je découvre avec plaisir le travail graphique impressionnant, intelligent et splendide de Jean-Christophe Chauzy, et laisse le suspense d’une ambition narrative bien séduisante planer en attendant, impatiemment, de découvrir la suite de ce diptyque. Le Reste du Monde manque de peu le coup de cœur, notamment de par l’apparente unicité de son personnage central, dans l’absence de développements parallèles, mais le dessin de l’artiste vaut assurément le doux détour dessus les aquarelles pyrénéennes tant les nombreuses ambiances des temps du récit captivent l’œil. Survivalisme instinctif, le désespoir profondément enfoui sous l’urgence, l’auteur explore, avec



une fine brutalité élémentaire et un fascinant mystère



d’arrière-plan, la violence égocentrée tapie en l’instinct animal de survie.
À tous prix.
Quitte à laisser dans les inévitables impératifs de sa trace tout le reste du monde.

Créée

le 2 nov. 2017

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