Les Tuniques bleues est une série de BD née à la fin des remuantes années 60 et reflète la force de la contestation populaire à l'égard des pouvoirs politiques, moraux et militaires dominants, dont les gens aujourd'hui devraient se méfier avant qu'il les entraînent vers la dictature et la guerre.

Quoi qu'en disent certains esprits chagrins, "l'Envoyé spécial" appartient donc bien à la tribu des Tuniques bleues. Bien sûr, ce ne sont pas les auteurs habituels, et le style graphique qualifié par Muñuera de semi-réaliste est changé et se teinte d'un peu plus de réalisme. Mais on sait que toucher à un "monstre sacré" en BD comme ailleurs, c'est risquer le blasphème. Muñuera et BeKa le savent aussi et dans une interview qui sert de préface (elle aurait été mieux placée en postface) ils hissent à l'avance le drapeau blanc face aux puristes, expliquant en long en large et en travers la dimension de leur projet. C'est une autocritique intéressante, mais aussi révélatrice du statut agaçant de "9ème art" embaumé dans lequel trop de gens enferment la Bande dessinée depuis les années 1990.

L'album, aux mains de trois auteurs talentueux et confirmés, tient parfaitement la route. On retrouve nos héros au gros nez à peine changés esthétiquement, ce qui contraste avec le style plus franchement "Muñuera" des autres personnages. Les décors sont très réussis et les couleurs, plus ternes, nous rappellent que la série se situe dans un univers de guerre fratricide impitoyable.

C'est que, depuis les années 60, la BD a mûri et nos perspectives d'avenir se sont assombries. Face à un pouvoir encore sous domination de nationalistes et militaristes soutenant encore les solutions répressives dures, les artistes populaires avaient alors tout à gagner à s'exprimer dans la fantaisie pour éviter la censure qui guettait. Et puis, la guerre et ceux qui la promeuvent au nom de la Nation et des grands idéaux, ces auteurs l'avaient prise massivement sur le coin de la figure depuis 1940. Pour nous, c'est le retour à un pouvoir dur et intolérant, flatté par des dirigeants en mal d'idées et de légitimité, qu'il faut craindre. Les auteurs profitent, tant qu'ils le peuvent, de cette liberté de ton qui nous semble encore évidente. Le côté "comique troupier", qui a garanti le plus large public à Lambil et Cauvin, demeure néanmoins bien présent.

Le sujet est anecdotique, comme presque toujours dans les Tuniques bleues : un reporter de guerre, personnage nouveau pour l'époque, rejoint le camp de nos héros et, témoin amusé et plutôt passif des frasques comiques des deux pioupious, devient le prétexte à une nouvelle aventure. Ce William Russell a réellement existé. C'était un irlandais, anobli et décoré par la Reine Victoria à la fin d'une vie passée à rapporter les événements guerriers pour la presse britannique. Bref, un modèle d'ascension sociale typiquement capitaliste, justifié par sa participation à ce grand élan de mondialisation de la seconde moitié du 19ème siècle. On peut regretter que les auteurs n'aient pas considéré ce personnage très bien intégré aux affaires de son temps avec un peu moins de déférence : quand on rejoint l'élite des Lords après avoir "dénoncé" l'esclavage, c'est qu'il y a une grosse co.ille dans le potage éthique. Même au 19ème siècle.

Mais n'est-ce pas le lot schizophrénique de toute notre espèce, voire de toute la biosphère ?

Edonor
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le 2 janv. 2024

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