L'Idée fixe du savant Cosinus par CosmixBandito
Le Docteur Cosinus a le front dégarni et les mœurs distraites. Son état savant ainsi établi, on ne songera pas à discuter l’importance de ses aventures coloniales : les sauvages attendent ses enseignements pour rejoindre la civilisation, tandis que le bon peuple de Paris espère sensiblement la même chose de son départ, un peu de calme, de l’ordre surtout. Le savant, cette calamité ambulante, a tout pour devenir un formidable personnage de bande dessinée, Hergé s’en souviendra. L’idée fixe de Cosinus, voyager donc, ne dépasse jamais hors des pensées de son inspirateur, le stade de départ avorté. Quel que soit l’itinéraire choisi, quel que soit le moyen de locomotion utilisé, Cosinus ne parvient pas à sortir de Paris, mis en échec par des incidents les plus rocambolesques, causés habituellement par une propension à tirer de l’expérience empirique de cette brève impulsion voyageuse quelques démonstrations mathématiques, qui seraient inoffensives si elles ne s’accompagnaient pas d’une distraction fort malvenue pour ceux qui ont le malheur de croiser son chemin. Pendant que ses bagages font le tour du monde, Cosinus prend des bains de pieds, rêvant du jour où il pourra marcher dans les pas de ses illustres cousins Fenouillard. Christophe explore et touche à plusieurs reprises aux limites de son média. On est en 1899, le placement de produits n’est pas encore tout à fait au point, mais il n’y a pas de raisons pour que la publicité, qui a toujours accompagné l’essor de l’image, ne profite pas de la naissance d’un nouveau média. On est aux balbutiements de la bd, et déjà, l’auteur, cet être avide et sans scrupule aucun, participe activement au dévoiement de son art avant même qu’il n’en devienne un. Avec un recul assez phénoménal pour l’époque, Christophe se livre à une réjouissante séance d’autopromotions : c’est dans la salle d’attente du dentiste que Cosinus feuillette les aventures des Fenouillard, première application thérapeutique probable de la bande dessinée, au succès indéniable. Première probable méta-bande dessinée aussi. S’essayant à l’autocensure (pour mieux s’en moquer), il adopte alors un nouveau régime d’image : pour ne pas choquer le lecteur par le lever dans le plus simple appareil de Cosinus, l’auteur remplace la case par un dessin naïf. Et comme l’auteur maitrise comme personne l’art du médaillon, il pose au dos de chaque planche une emphase illustrative dans laquelle une fantaisie inaboutie de la planche précédente vient s’incarner dans les rôles et costumes que le narrateur tout à son prodigieux verbiage prête au personnage. C’est Cosinus qui sert la main à la lune, un chien en tenue de deuil qui essuie une larme ou notre savant en costume antique qui terrasse ses concierges d’adversaires. Dans la réalité, ses batailles sont davantage bureaucratiques qu’homériques, mais dans la mesure où le moindre imprévu se charge de potentialités désastreuses, il y a dans cette longue suite de départ, une forme d’héroïsme contemporain qui se dessine en creux dans le chaos ambiant. Cosinus promène sa silhouette dégingandée dans des accoutrements diversement adaptés à son objectif du jour, provoquant, par sa tenue et le désordre mental supposé que son comportement induit, un affront à la société, suffisamment intolérable pour que celle-ci se mêle des projets aventureux du savant. Si le salutaire refus d’obéissance à la force publique de Cosinus s’explique plus par son emportement que par un quelconque idéal libertaire, la constance avec laquelle il se frotte aux nervis de l’administration force le respect. L’inadéquation entre les aspirations du héros et ses aptitudes explique pour une bonne part ses nombreux échecs, mais on aurait tort d’ignorer le rôle joué par son lamentable compagnon. Cosinus se retrouve en effet vite flanqué d’un appendice canin (dénommé Sphéroïde pour des raisons triviales), subterfuge narratif qui à défaut de mordre les fonds de culotte des romains ou d’aller sur la lune, s’emploie de son mieux pour se montrer digne des tendances fourbes de sa race en partant à la recherche d’un nouveau coup pendable à peine la punition du précédent s’est-elle abattue. Sa progéniture s’étale sur un siècle et quelques centaines d’albums : le chien animal de compagnie du héros et faire-valoir comique, ça marche toujours.