Silence a beau s’acharner à dire le contraire, c’est bien un film sur la mort de la foi, non pas de ses personnages mais de son réalisateur. Scorsese ne croit plus au cinéma, silence est son apostasie. Ses procédés sont épuisés, une voix off autrefois vertébrale est ici une canne blanche donnée à un voyant. Aberration bavarde dans un film silencieux, questionnement incessant sous couverture épistolaire, elle étouffe toute présence possible, recouvre le merveilleux de ses contingences. Jamais Scorcese ne laisse sa caméra capter de signes, d’évidences. Sa vision obstruée par son récit, ses personnages collent à une caméra bouffant sans cesse leurs visages hagards, incapables de chercher la grâce autour d’eux. Certes après l’overdose malickienne qui gangrène le cinéma, on se passe très bien de contres plongées vertigineuses sous des arbres centenaires, mais de là à délaisser totalement le rapport des personnages dans le cadre, leur écrasement par le réel, l’humilité de leur condition, il y avait de la marge. Déjà problématique durant tout le film, cette absence de « silence » devient pitoyable quand Scorsese, à rebours de son récit cherchant à installer le doute, envoie carrément la purée : la voix de dieu résonne dans un haut-parleur de cinéma. Ce n’est même plus une faute de goût, c’est un terrible renoncement. Scorsese cloue lui-même son cercueil avec une amulette dans un cercueil. On a pourtant eu plus de deux heures pour le voir venir.
Son récit s’enroue même dans des détails. Passons sur l’ellipse désastreuse du voyage de l’Europe à la Chine suivie d’une promenade en barque jusqu’au Japon, qui échoue déjà complètement à faire sentir le temps, la distance où inscrire les personnages. Mais rien qu’un détail fait sentir la sénilité du conteur : le quiproquo sur l’identité de l’inquisiteur. J’ignorais même que c’était un enjeu, non seulement j’ai tenu pour acquis qu’il s’agissait de lui à la seconde où il apparait (parce que oui, Scorcese le film comme tel, même s’il semble l’avoir oublié) mais sa révélation apparaît de tout façon sans conséquences. On peut y voir, en se forçant, l’incompréhension du prêtre pour le Japon, grassement surligné par Neeson à la fin, mais cela ne masque pas l’incompréhension, disons même l’arrogance identique du réalisateur lui-même. Jamais il ne considère les paysans japonais autrement que comme réceptacles de la foi chrétienne. On les voit de nuit, miséreux, pouilleux, sans jamais ouvrir le cadre sur leurs conditions, sur la société. On peut certainement faire un film sur la foi en s’extrayant des fonctions sociétales ou psychologiques pourtant inhérente à la foi, mais faire un film de prosélytes en vase clos est en revanche complètement absurde. Où sont les rapports de classe, ou est le travail, où est tout ce qui justifie que l’on se jette les yeux fermés dans la foi et le martyr. Où est le Japon ? Silence aurait très bien pu être tourné en japonais, Scorsese aurait pu faire un film bavard réussi, à condition de s’intéresser au langage, aux échanges, mêmes dérisoires entre deux cultures, et, conservant son souci de réalisme historique, aboutir à l’impossibilité, non seulement pour la foi chrétienne de s’enraciner au Japon, mais aux européens de s’y aventurer pendant deux siècles.