Il s'agit d'une bande dessinée de 52 pages, en couleurs. Elle est initialement parue en 2016, écrite par Hubert Reeves (1932-), dessinée par Daniel Casanave, et mise en couleurs par Claire Champion. Elle fait partie de la collection intitulée La petite bédéthèque des savoirs, éditée par Le Lombard. Cette collection s'est fixé comme but d'explorer le champ des sciences humaines et de la non-fiction. Elle regroupe donc des bandes dessinées didactiques, associant un spécialiste à un dessinateur professionnel, en proscrivant la forme du récit de fiction. Il s'agit donc d'une entreprise de vulgarisation sous une forme qui se veut ludique.
Cette bande dessinée se présente sous une forme assez petite, 13,9cm*19,6cm. Elle commence par un avant-propos de David Vandermeulen de 4 pages. Il commence par évoquer la différence qu'établit Jean-Jacques Salomon (1929-2008, philosophe des sciences, auteur par exemple de Les Scientifiques : Entre pouvoir et savoir) entre un savant et un scientifique, c’est-à-dire pour ce dernier un professionnel des sciences. Puis, il évoque le concept d'élan vital, tel que développé par Henri Bergson dans L'évolution créatrice, avec un exemple célèbre tiré de cet ouvrage. Il termine son avant-propos avec un mot sur Daniel Casanave et sa filiation artistique avec Georges Beuville.
La bande dessinée commence avec Hubert Reeves se tenant debout sous un ciel étoilé, ouvrant sa présentation par ces mots : Les étoiles ne font pas de musique, elles font du bruit, un vacarme gigantesque ! Il indique qu'il va expliquer le rapport profond qui existe entre les humains et les étoiles. Il commence par parler de plusieurs artistes de génie qui ont créé dans la douleur, celle de la surdité pour Ludwig van Beethoven (1770-1827), celle des troubles mentaux pour Vincent van Gogh (1853-1890), ou encore celle du manque d'argent pour Rembrandt van Rijn (1606-1669). Il indique ensuite qu'il ne s'agit pas d'expliquer l'art, mais d'apporter un éclairage nouveau sur cette activité créatrice.
Un livre intitulé L'Univers et écrit par Hubert Reeves est une invitation irrésistible à se plonger dans le spectacle extraordinaire et intimidant du cosmos et de l'astronomie. En outre, l'introduction de David Vandermeulen rappelle qu'Hubert Reeves n'est pas qu'un scientifique (de très haut niveau), que c'est également un être humain préoccupé par la dégradation de l'environnement, un savant engagé dans la propagation de valeurs pour préserver la biodiversité. Le lecteur part avec l'a priori qu'il se lance dans une lecture qui ne sera pas aride, qui disposera d'un point de vue humain. Le cheminement de la pensée d'Hubert Reeves déroute par son évocation des artistes de génie. Le rapport entre ces créateurs d'exception et la conception de l'univers n'apparaît pas de tout de suite. Il faut effectivement attendre la fin pour comprendre la pertinence et l'objet de ce passage.
Pour ce deuxième tome de la série de la petite bédéthèque des savoirs, les auteurs ont choisi une forme de discours, très classique. Hubert Reeves se met en scène pour exposer son propos. Il est immédiatement sympathique, comme un grand père avec une belle barbe blanche, un air débonnaire, un visage ouvert sur lequel flotte souvent le sourire de quelqu'un heureux de vivre. Reeves a pris grand soin de limiter le volume de chaque phylactère, pour conserver un rapport en faveur de l'image, ainsi que pour préserver la fluidité de la lecture, comme dans une bande dessinée traditionnelle, les seules exceptions sont des phylactères un peu copieux dans 3 pages (p. 26, 27 et 34). Le lecteur est très agréablement surpris par le registre de vocabulaire : très simple et accessible à tous les lecteurs. Il faut dire qu'Hubert Reeves est également un vulgarisateur chevronné au travers de ses ouvrages comme Dernières nouvelles du cosmos,Les secrets de l'univers, y compris pour des publics plus jeunes avec L'Univers expliqué en images,L'Univers expliqué à mes petits-enfants. Il s'agit donc d'une lecture présentant un degré de facilité inattendu et appréciable.
En outre, les auteurs s'attachent à rendre l'exposé le plus visuel possible. Au final, il s'agit d'un exposé qui respecte les codes de la bande dessinée, avec des images qui priment sur les textes, des images qui montrent ce qui est évoqué, sans se contenter de le répéter. Le lecteur ressent que les auteurs se sont concertés et qu'Hubert Reeves a adapté son discours pour en augmenter la dimension visuelle. Daniel Casanave est un auteur de bandes dessinées confirmé : Percy & Mary Shelley - La vie amoureuse de l'auteur de Frankenstein avec David Vandermeulen (également directeur de la présente collection, et auteur de l'avant-propos), Les chroniques d'un maladroit sentimental avec Vincent Zabus, L'Amérique, Tome 2 : Sur la route de Ramsès d'après Franz Kafka. L'artiste détoure les formes avec un trait assez fin, et un peu lâche, ce qui confère une forme de spontanéité à ce qui est représenté, en particulier pour les personnages. Il réalise des dessins descriptifs avec un degré de simplification pour en rendre la lecture plus immédiate.
Daniel Casanave fait d'Hubert Reeves, un personnage de bande dessinée tout public, en lui donnant un air bonhomme et inoffensif, accentué par une exagération de la taille de son nez, ce qui évoque un personnage de bande dessinée pour enfant. Il n'applique pas la même forme de caricature légère aux autres personnages qui restent plus normaux, plus réels. Il sait reproduire avec conviction l'apparence des personnages historiques comme Ludwig van Beethoven, Johann Sebastian Bach ou encore Albert Einstein. Il retranscrit également avec conviction l'impression produite par de grandes toiles de maître, que le lecteur identifie sans peine. En utilisant cette approche graphique simplificatrice, l'artiste réussit à intégrer tous les éléments visuels exigés par le scénario, sans surcharge ses pages, en les faisant exister dans un même niveau de réalité, c’est-à-dire qu'il ne se produit de hiatus quand on passe d'une case avec un portrait de Bach à Reeves se promenant sur la plage, ou quand Hubert Reeves coexiste avec des personnages historiques dans une même case, toujours sur cette même plage.
Daniel Casanave réussit également à mettre sur le même plan graphique des éléments aussi hétéroclites que des hérons, un noyau atomique, un cristal de neige, une immense bibliothèque ou un champ. L'apparence anodine et inoffensive des personnages et des environnements rassure le lecteur sur le degré d'accessibilité de l'ouvrage, il est effectivement tout public, voire même il le déconcerte par son apparente innocuité. L'exposé d'Hubert Reeves produit le même effet avec ses termes simples, et les notions basiques qu'il expose. Le lecteur prend conscience de la force et de l'intelligence de cet exercice de vulgarisation par l'analogie visuelle établie entre les lettres de l'alphabet, les mots, et les quarks et les atomes. L'alliance des phrases d'Hubert Reeves et des dessins de Daniel Casanave forme une explication lumineuse sur le principe de rencontres créatrices et de propriétés émergentes.
Arrivé à la fin de l'ouvrage, le lecteur reste décontenancé par la facilité de sa lecture, et par la teneur du propos. Au vu de l'identité de l'auteur et du titre, il pensait trouver un exposé d'astronomie, expliquant la nature de l'univers, son développement depuis le Big Bang, et les règles des trajectoires des corps célestes. En fait, le scientifique évoque le Big Bang en une page. Il parle des constituants fondamentaux de la matière en 2 pages, et il évoque la multitude d'espèces animales qui peuplent la Terre de manière très rapide. En termes de vulgarisation, c'est très basique. Le lecteur se souvient alors que, dans l'avant-propos, David Vandermeulen a attiré son attention sur le sous-titre de cette bande dessinée : créativité cosmique et artistique. D'ailleurs, dès la troisième page de la bande dessinée, l'auteur évoque des artistes de génie. Effectivement, à plusieurs reprises il lie la création de l'univers à la création artistique.
Le cœur du propos d'Hubert Reeves n'est pas d'expliquer la création de l'univers et son évolution, mais d'exposer le principe au cœur de cette évolution, c’est-à-dire les rencontres créatrices et les propriétés émergentes. Un jeune lecteur se focalisera plus sur les éléments des sciences physiques expliquant l'univers, car ce propos est accessible à tout le monde. Un lecteur plus adulte, sera plus sensible à ce principe de créativité. Il est plus à même de comprendre la citation de Démocrite (-460 à -370) : tout arrive par hasard et par nécessité. Il identifie plus facilement les références non explicites comme celle à Citizen Kane (1941) d'Orson Welles, en page 61. Il se rend compte au final qu'il est capable d'expliquer à une autre personne ce double principe de rencontres créatrices et de propriétés émergentes en reprenant l'analogie avec les lettres de l'alphabet, et il est forcément sensible à la conclusion d'Hubert Reeves sur le sens de la vie, qu'il partage son avis ou non.
Ce deuxième tome de la collection de la petite bédéthèque des savoirs est trompeur. Il peut se lire à 2 niveaux très différents. Le premier correspond à celui d'un jeune lecteur sans bagage scientifique qui va découvrir une explication sur la nature de l'univers et son historique, de manière succincte, avec des phrases simples et des dessins facilement lisibles. Le deuxième niveau de lecture s'avère tout aussi facile d'accès, tout en étant plus ambitieux. Hubert Reeves et Daniel Casanave exposent le principe de créativité qui sous-tend l'évolution de l'univers (au sens astronomique du terme), et qui est à l'œuvre chez les artistes. Une impressionnante entreprise de vulgarisation tout en douceur et en optimisme, ainsi qu'une belle leçon philosophique.