L’intrigue constituée par la liaison radio clandestine d’Eugene trouve ici un début d’aboutissement, et dirige la Ligne blanche. Parallèlement, on liquide les chuchoteurs. Mais il me semble surtout que deux personnages portent l’album à bout de bras.
Le sort de l’inévitable Negan constitue un fil rouge, depuis un bon moment il est vrai. Mais du point de vue narratif, son potentiel semble inépuisable – alors que Beta, par exemple, finalement aussi creux qu’il était haut, finit sans gloire sa carrière de personnage. Kirkman a compris que désormais, quoi qu’il fasse, Negan ne paraîtra jamais fiable : qu’il soit en quête de rachat ou s’approche de la folie, on se demandera si ça ne cache pas quelque chose. (À la fin du tome 26, déjà, je me suis demandé si Negan avait dès son évasion l’intention de ramener la tête d’Alpha à Rick.)
L’autre pierre angulaire de la Ligne blanche, et à propos de qui la question de la fiabilité se pose tout autant, c’est l’étrange femme en manteau de peluche rose qui se fait appeler Princesse. Le lecteur qui s’est mis à réfléchir comme les personnages n’aura pas manqué de se demander comment elle a survécu, le scénariste s’est évidemment bien gardé de trop en dire tout de suite. Son apparition, tout en théâtralité, m’a fait penser à celle de Michonne (la Michonne de la série télévisée surtout), mais c’est à peu près leur seul point commun : qu’est-ce qu’elle cause !
Son exubérance, qui dans le contexte confine à la folie, donc la rapproche de Negan, apporte du recul et même une forme d’humour à une série qui n’a jamais beaucoup montré ni l’un, ni l’autre. D’ailleurs, son ralliement est vite suivi par une discussion sur les quotas et les « minorités » (p. 67) qui rejoindra forcément les réflexions d’un lecteur pas trop stupide. Paradoxalement, cette discussion allège – dans un sens narratif, non dans un sens moral – ces sous-intrigues amoureuses, homo- ou hétérosexuelles, qui semblent pousser comme des champignons après la pluie dès lors que la petite communauté a acquis un certain confort : au coming out de deux exploratrices (p. 88), les autres personnages n’accordent qu’une attention toute limitée, peut-être parce que l’enjeu n’est pas là.
On se doute que l’amour (jalousies, affinités…) va finir par peser sur la question de la survie, donc par la rejoindre : un lecteur normalement constitué pressent que la jalousie de Lydia envers Sophia ne restera pas larvée longtemps. En attendant, la Ligne blanche est plutôt bien équilibrée de ce point de vue.
Critique du tome 28 ici, du 30 là.