Ce tome fait suite à Walking Dead, Tome 28 : Vainqueurs (épisodes 163 à 168) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 169 à 174, initialement parus en 2017, écrits par Robert Kirkman, dessinés par Charlie Adlard, encrés par Stefano Gaudiano, avec des nuances de gris appliquées par Cliff Rahtburn.
Carl Grimes se recueille sur la tombe d'un proche décédé et laisse ses larmes couler. Lydia vient le rejoindre et il lui raconte comment il a tué un enfant de moins de 10 ans, appelé Billy. Il s'épanche sur sa relation avec sa mère adoptive. Rick Grimes reste responsable de la communauté d'Alexandria et ses habitants ont pris l'habitude de se découvrir à son passage pour marquer leur respect vis-à-vis de son deuil. Il accepte la conversation en face à face avec Maggie. Il est question de la mort de Glenn et de la survie de Negan. Rick Grimes lui explique qu'il a choisi de l'exiler. La visite suivante de Rick est pour Eugene Porter, accompagné de Siddiq. Justement Eugene est en train de communiquer avec Stephanie, à l'aide de sa radio. Rick Grimes s'impose dans la conversation et fait une proposition de rencontre à Stephanie, avec des conditions qu'il estime raisonnable en lui laissant le temps de la réflexion. Après cette discussion, Eugene lui fait comprendre qu'il tient à faire partie du groupe qui partira pour prendre contact avec la communauté de Stephanie.
En continuant sa tournée, Rick Grimes croise Dwight en train de travailler ; l'attitude de ce dernier lui fait comprendre qu'ils doivent avoir une conversation dans les plus brefs délais. Pendant ce temps-là, Maggie Greene a commencé à organiser les préparatifs de départ, pour son retour vers la communauté de Hilltop. Carl vient la trouver pour lui indiquer qu'il repart avec elle, mais que son père n'en est pas encore informé. Rick Grimes a une conversation avec Jesus (Paul Monroe) pour lui expliquer qu'il souhaite lui confier le commandement du groupe qui doit partir pour établir le contact avec la communauté de Stephanie. Jesus refuse et explique à Rick pourquoi Aaron va également refuser. Le temps de la discussion avec Dwight est arrivé en début de soirée. Finalement le groupe qui part pour établir le contact est composée de Michonne qui en prend la tête, Eugene Porter, Siddiq, Magna et Yumiko. En cours de route, Juanita Sanchez (se surnommant Princesse) intègre leur groupe.
Après les bouleversements du tome précédent, le lecteur sait que le récit va passer par une phase de bilan et de clôture d'un certain nombre de situations, tout en établissant les prémices de la phase suivante. Il dispose déjà d'une indication de ce qu'elle sera : le premier contact avec une nouvelle communauté, celle de Stephanie. Dans les tomes précédents, Eugene a établi et développé un contact radio avec elle, et construit une relation de confiance… toute relative. Le lecteur sait déjà que la question de confiance va revenir au cœur du récit, avec toujours le même dilemme. Pour établir un contact, il faut que chaque groupe accorde un minimum de confiance à l'autre, et pouvoir définir des conditions qui ménagent la sécurité de chacun, pour disposer du temps nécessaire pour évaluer, jauger l'autre camp. Ce premier contact focalise tous les dangers et tous les fantasmes possibles, et dans le même temps c'est un point de passage obligé pour aller de l'avant. Kirkman gère ce fil de l'intrigue de manière habile et sadique puisque le lieu de rendez-vous est assez éloigné de la communauté d'Alexandria et que le groupe progresse régulièrement. Cela signifie que le contact ne se produit pas tout de suite et qu'il peut montrer ce qui se passe entretemps.
Bien sûr, le lecteur est très intrigué par le personnage en couverture (de la version VO). Il n'éprouve aucun doute sur le fait que le scénariste a ressenti le besoin de l'introduire pour renouveler la dynamique de groupe qui risquerait de ronronner faute de nouveauté. Adlard & Gaudiano lui donnent une très forte identité graphique, avec un accoutrement voyant et un langage corporel vif et appuyé, en cohérence avec son jeune âge et son isolement prolongé, sans parler de ses conditions d'existence, c’est-à-dire sans certitude de revoir un jour âme qui vive, mais avec des cadavres dans son environnement et le risque de zombies déboulant à l'improviste. Les séquences consacrées à cette équipe sont également l'occasion de mettre en scène les relations interpersonnelles. Plus le temps passe et plus Eugene Porter révèle la profondeur de sa personnalité. À nouveau, Robert Kirkman se révèle maître dans l'art du drame, en trouvant l'équilibre entre ce qui est dit et ce qui est suggéré. Adlard continue de s'appuyer sur des têtes en train de parler dans les cases, mais avec des mouvements révélateurs sur la fluctuation des états d'esprit et Stefano Gaudiano a acquis un degré de précision qui permet aux visages d'exprimer des nuances. Le lecteur assiste alors à une scène poignante entre Eugene et Siddiq s'expliquant au sujet de Rosita. Les auteurs mettent en lumière la latitude de choix qui existent dans les réponses pour Eugene, et la souffrance simultanée de 2 individus qui ont le même objet mais pas le même ressenti, ni la même position.
Ce tome met également en scène la relation amoureuse au sein de 2 couples homosexuels. Le lecteur peut bien sûr y voir une volonté de l'auteur de ratisser large, mais quand bien même ce serait le cas, il le fait avec sensibilité, et sans une once de racolage. Même s'il s'agit d'un couple de gays et d'un couple de lesbiennes, les différences de comportement ne sont pas liées au sexe. Dans le premier couple (déjà constitué, celui d'Aaron & Paul Monroe), l'amour qu'ils se portent s'expriment de façon tendre et plus posée du fait de leur âge, et de la durée de leur histoire personnelle déjà partagée pendant de nombreux mois. Dans le deuxième couple, l'expression de leur amour revêt une autre forme plus hésitante, et en même temps plus défiante de la part de l'une des deux. De fait le langage corporel n'est pas non plus le même, plus affectueux dans le premier couple, plus tendu dans le deuxième du fait des incertitudes qui restent à lever dans la profondeur de l'engagement. Ces moments de calme s'avèrent propices aux rapprochements affectifs ou au développement de relations déjà existantes.
De fait, le lecteur peut s'agacer de l'avancée minuscule de l'intrigue, et du regroupement dans un même tome de l'avancée des relations de nombreux couples. Dans le même temps, il est vrai que l'action ne favorise pas la réflexion sur ses sentiments, et la prise de recul sur ses émotions. Le lecteur reprend également conscience qu'il s'est attaché à tous ces personnages, différents et uniques, dont il a partagé l'histoire personnelle pendant plusieurs numéros, des dizaines parfois et de nombreuses années. En outre, il sait que cette période de calme ne durera pas très longtemps et que plusieurs personnages de premier plan doivent accomplir un travail de deuil. Le lecteur se rend compte qu'il éprouve une réelle affection pour Dwight même s'il se comporte de manière odieuse. Kirkman sait faire ressortir ses contradictions et ses émotions négatives. Le lecteur peut deviner sa souffrance. Les 2 séquences correspondantes sont d'autant plus efficaces qu'Adlard reste dans un registre naturaliste sans exagération des postures ou des expressions du visage, que ce soit pour Dwight ou pour ses 2 interlocuteurs successifs. Il n'est bien sûr pas dupe du fait que le scénariste lui joue le même tour qu'à chaque fois en positionnant le personnage dans un état émotionnel où il peut basculer d'un côté comme de l'autre, au gré de la fantaisie de l'auteur. Dans le même temps, il se montre fin psychologue en établissant les griefs émotionnels de Dwight de manière patente, générant une empathie chez le lecteur même s'il est réticent au début.
Le lecteur est encore plus investi dans l'évolution de Carl, de sa relation avec son père, avec Lydia, et avec Sophia. Les dessins montrent un vrai jeune homme qui est devenu autonome et qui a su dépasser ses traumatismes passés, capable de pleurer, à nouveau de manière naturelle, et pas les torrents de larmes qui coulaient au début de la série. D'un côté, le lecteur peut estimer qu'Adlard et Gaudiano maîtrisent mieux leur art et se montrent plus nuancés ; de l'autre côté, il peut aussi y voir le fait que les circonstances ne relevant plus d'une question de vie ou de mort à chaque instant, les émotions reviennent à un niveau plus normal. Ça ne rate pas : Kirkman place également un personnage proche de Carl dans un état où il peut basculer d'un bloc pour ou contre lui, mais c'est aussi l'occasion de revenir sur le fait que des vieux copains, ça ne se fabrique pas. Il n'est pas question exclusivement de relations amoureuses, mais aussi de relation d'amitié. Rick Grimes doit lui aussi faire son deuil et ce processus prend une forme des plus inattendues. Les dessins montrent des postures plus appuyées et des visages ravagés par le chagrin, mais pour le coup cela s'avère justifié par l'intensité de la douleur émotionnelle de Rick Grimes et de Mickey, adolescent.
Les auteurs évoquent également d'autres types de relations qu'amoureuses ou amicales. En particulier des personnages doivent affronter la solitude qui est leur lot, faisant d'autant plus ressortir la chance de ceux qui bénéficient d'un compagnon. De ce point de vue, il apparaît en creux le point de vue de Robert Kirkman qui présente toujours sous un jour plus favorable le fait de pouvoir vivre à deux ou en société, ce qui est cohérent avec ce qu'il a pu dire de la société dans les étapes précédentes. Dans le dernier épisode, Negan doit affronter la solitude qui accompagne son exil. Là encore, le lecteur n'est pas dupe. Il sait que Robert Kirkman doit effectuer un choix : soit conserver la personnalité de Negan en l'état, soit la modifier de manière radicale. Dans le premier cas, il ne fait pas un doute que Negan reviendra au premier plan et que la force de sa personnalité magnétique renverra tous les autres personnages au second rang. Dans le deuxième cas, le personnage aura évolué et le Negan que le lecteur regardait avec une admiration irrépressible malgré les actes qu'il a commis, ne sera plus. À nouveau le lecteur n'est pas dupe : il sait que Kirkman va jouer sur l'alternance de ces deux possibles, soit le retour du Negan passé, soit une évolution radicale. Par contre, il ne s'attend pas forcément à la manière dont le scénariste s'y prend.
Le dernier épisode est une vraie surprise. À nouveau, Kirkman, Adlard et Gaudiano mettent en scène des émotions qui emportent tout sur leur passage, qui ravagent le visage des acteurs, qui imposent une gestuelle théâtrale pour rendre compte de leur puissance. C'est un pari risqué, de type quitte ou double. Le lecteur peut y voir un retour en arrière, une dramaturgie lui rappelant les moments où n'importe quel personnage peut mourir sous l'attaque d'un zombie, ou par le geste imprévisible de Negan. Ils n'y vont pas par quatre chemins, puisque Negan se retrouve devant une batte de baseball et il y a du fil barbelé pas loin. Il va donc devoir faire un choix, étant soumis à la tentation. Soit le lecteur y voit une mise en scène artificielle au plus haut point et il sort du récit achevant l'épisode par curiosité, mais pressé de passer à quelque chose de plus organique. Soit il voit dans cet artifice une promesse solennelle de traiter cette question (le risque du retour du naturel chez Negan) pour ne plus y revenir par la suite. Il découvre alors une discussion dont Kirkman est coutumier, entre 2 personnages, pour un enjeu moral capital. S'il accepte de jouer le jeu, il se rend compte que Kirkman ne lui a pas menti et qu'il n'est plus question de positionner un personnage en équilibre instable entre 2 possibilités antinomiques. Effectivement, l'auteur met en scène une question morale essentielle sur la vie en société et sur le jugement a posteriori porté sur des actes commis en des temps de guerre ou de survie. La souffrance est à nouveau au cœur de la dialectique, pour une confrontation entre 2 individus aux émotions exacerbées. À la fin de cet épisode, le lecteur reste libre de son jugement sur le mode narratif, mais il y a de fortes chances qu'il ait été touché par la souffrance des individus impliqués et qu'i ait été ébranlé dans ses convictions.
Charlie Adlard & Stefano Gaudiano réalisent plus de planches nuancées que dans les tomes précédents, avec des émotions souvent maîtrisées et mesurées, un langage corporel proche du naturalisme. Ils sont passés maître dans le degré d'épure en fonction de la nature de la scène, soit concentrés sur le besoin de montrer au lecteur où évoluent les personnages, soit focalisés sur leur buste lors de discussions sur plusieurs cases. Ils savent insuffler une vie plausible dans les nombreux personnages qui restent tous distincts. Robert Kirkman réalise un chapitre dans lequel il se focalise sur les relations interpersonnelles, les différentes formes de deuil. Le lecteur peut s'agacer de découvrir que l'intrigue n'avance presque pas, mais dans le même temps il apprécie de pouvoir souffler un peu avec les personnages et de voir certaines situations se dénouer, ou évoluer de manière significative. Il constate l'art consommé avec lequel le scénariste construit les situations à partir de l'histoire personnelle de chaque protagoniste et comment il continue d'évoquer la vie en société de manière nuancée et constructive, même lorsque la menace des zombies n'est plus aussi immédiate. Par contre, il a intérêt à être à la hauteur des attentes qu'il a suscité quant à la découverte de la colonie de Stephanie.