Araignée-là !
... heu, je veux dire ... Arrêtez-la !

On arrête plus Natacha, qui revient en force dans La Veuve noire, l'un des meilleurs albums de la série !
A rebours de L'Ange blond, La Veuve noire est une oeuvre totalement maîtrisée, qui justifie pleinement son titre, tant elle joue avec ! Elle offre au lecteur un récit policier qui mêle les codes du polar à énigme à une habile animalisation, une paranoïa nourrie de l'arachnophobie et un humour plus dévastateur que d'ordinaire. Sans oublier les caméos et la touche sexy !



Arachnophobia



La Veuve noire, c'est avant tout un polar à énigme, qui d'ailleurs porte un titre tout à fait adéquat, non sans rappeler la figure de la vamp ou des titres tels que Le Dahlia noir ou de nombreux titres de gialli.
Et, comme dans ces romans et films policiers où énigme riment avec ambiance, la frontière entre humanité et animalité devient vite très floue.



La Toile de l'araignée



Cette référence à la pièce méconnue d'Agatha Christie de 1954 pour illustrer la volonté de Walthéry, dans cet album, de renouer avec le quotidien véritable de Natacha - qui, comme il l'a souvent rappelé dans ses interviews, est tout de même hôtesse de l'air - pour mieux y introduire les codes du genre policier.
Policier noir autant que policier à énigme ou Whodunit, La Veuve noire navigue dans les eaux chère à Agatha Christie et Conan Doyle, associant le huis clos de l'une - l'avion aidant - au climat de terreur de l'autre (on pourrait penser au Ruban moucheté*) en les parsemant d'indices bien dissimulés et d'autant plus étonnants lors de leur révélation ! On sera certainement contraint de revenir sur un passage déjà lu de l'album pour s'apercevoir que, oui, tous les indices nous permettaient déjà de voir ce que l'on n'avait pas observé. Il y a un jeu du détail et de la minutie très intelligent et très intéressant dans cet album !


Prenons l'exemple du meurtre du milliardaire Coolbeach.
Pris dans la même panique et la même agitation que Natacha et les passagers, on ne pense pas nécessairement à observer le geste a priori anodin de la meurtrière ! Geste pourtant bien dessiné ! Et annoncé, qui plus est !, par le regard suspect que jette un certain commissaire Maigret à la scène juste avant que cela ne se produise !


Un agréable thriller, qui va de bouleversements de situations en bouleversements de situation, empêchant le moindre temps mort et mimant à la perfection le désordre de ce nouveau vol de la compagnie Bardaf qui, comme le dit l'un des plus illustres passagers, rappelle assez bien "le bruit des passagers qui dégringolent" !



Des Araignées et des Femmes



"Il reste immobile comme l’araignée au centre de sa toile, mais cette toile a mille ramifications, et il perçoit les vibrations de chacun des fils."
Ce portrait par Sherlock Holmes de son pire ennemi montre bien combien un antagoniste animalisé peut gagner en charisme,peut inspirer l'effroi. Surtout, lorsqu'il est associé à l'araignée, la créature prédatrice dont les étrangetés, même les plus innocentes, inspirent la plus glaciale des épouvantes !
Conscient de cela sans doute, Walthéry a choisi de jouer sur la polysémie du groupe nominal "Veuve noire" pour créer une menace plurielle, protéiforme et dont le nom seul intrigue. En effet, une veuve noire est à la fois une sorte d'araignée et une femme tueuse. Elles sont liées par leur modus operandi: l'araignée dévore le mâle après l'accouplement, la femme séduit, parfois se livre à l'amour, avant de tuer et d'empocher le pactole. On nomme aussi la dernière "croqueuse de diamants", elle dévore donc bien quelque chose !
Mais le jeu ne s'arrête pas à un simple trait d'esprit: Walthéry prend chaque acceptation au pied de la lettre et ajoute à l'intrigue policière un scénario catastrophe qui prévient un Des Serpents dans l'avion, presque dix ans avant sa sortie. D'une part de venimeuses mygales, de l'autre une empoisonneuse armée d'un dard à faire pâlir la simple piqûre de son homologue animale. Un gadget digne de James Bond ou même de la Veuve Noire, l'espionne russe ressuscitée par le MCU.



Une araignée peut en cacher une autre !



Oui, attention: une araignée peut en cacher une autre !
Car, à l'image de cette polysémie de "veuve noire", tout est dualité dans cette nouvelle aventure de la policée mie de François Walthéry.
A commencer par les araignées tantôt réelles, tantôt factices qui, jusque dans la dernière case de l'album, sont impossibles à distinguer. Une définition très terre à terre de la grande problématique du fantastique et de l'épouvante: où est le vrai et où est le faux ? Un fantastique d'autant bien venu dans le genre du policier qu'il est, au niveau de l'histoire des genres littéraires, son père.
Et, là encore, Walthéry ne se complaît pas dans le comique de répétition sur la nature des araignées. Il l'applique aux deux araignées humaines du récit,


jetant tous les soupçons sur la coureuse de dot et couvrant d'une fausse vertu la secrétaire prétendument protectrice.


Le questionnement sur la frontière entre réel et irréel est alors déplacé sur le terrain de l'apparence et l'identité réelle.
Ce qui permet au papa de Natacha et Nicolas une belle leçon d'humanité. Car le débat s'oriente vers l'approche de l'autre, la peur inspirée par ce qui est différent. Et quoi de mieux que la figure de l'araignée, de la peur irrationnelle née de mouvements de pattes aussi étranges que dépourvus de signification offensive, pour traiter de ce sujet ?


On suspectera à tort la très mal famée brésilienne Bianca Negra y Colores, au nom bigarré, emblème de la diversité des couleurs de peaux, et on ne suspectera pas la très sage et très occidento-centrée Mlle Sweepstake.
Certes, Bianca ne traîne pas une fausse réputation de coureuse de dot mais il semble qu'elle profite de vieillards sans les tuer, pour reverser l'intégralité de ses "bénéfices" aux gens du bien nommé Patrèzalez, son quartier pauvre d'origine.


Un joli plaidoyer contre le racisme et les préjugés qui mènera nos héros jusque dans les ruelles sauvages des favelas, où règne, tristement, la même suspicion.


Une suspicion qui est le mot-clef de l'ambiance de l'album: on soupçonne chacun de ne pas être celui qu'il est, on croit les gens autres que ce qu'ils sont. Une suspicion instillée dans le récit comme le venin d'une veuve noire et qui lui permet de dévorer ceux et celles qui se refusent à la seule valeur humaine qui permettrait aux êtres de vivre en harmonie: la confiance.
Venin, et même poison des temps modernes, déjà pointé dans les nineties, apparemment. L'occasion de rappeler une dualité lexicale célèbre, un couple de faux amis: le "gift" anglais et le "Gift" allemand, qui, à eux deux, forment un cadeau empoisonné !



Une araignée au plafond ?



Mais alors, questionnent déjà certains et certaines d'entre vous, tout cela ne semble pas bien amusant ! Pourtant, une aventure de Natacha rime d'ordinaire avec humour !
N'ai-je pas déjà mentionné plus haut la dualité caractéristique de La Veuve noire ?



Des Araignées dans l'avion



En effet, plusieurs éléments ont de quoi rendre cette histoire anxiogène.
D'abord, l'entrée en matière déstabilisante qui n'est pas sans rappeler le bizarre de l'onirisme triomphant de l'Ange blond.


On est en droit de se demander, à la vue des premières cases, si La Veuve noire n'est pas en train de réécrire l'histoire de Natacha en faisant passer tout ce qui est narré entre La Mémoire de métal et L' Ange blond comme autant de délires de Walter perdu dans le désert à la fin de Natacha et le maharadjah.


Ensuite, la référence à une terrifiante réalité des voyages en avion: rien n'est à même d'empêcher les serpents, araignées ou scorpion ou autres vermines rampantes de s'introduire en passagers clandestins sur un vol. Il est d'ailleurs souvent arrivé que des paniques se soient déclenchées dans des avions à cause de ce genre de visiteurs importuns. Aussi, reprendre au compte de ce récit cette affolante vérité permet de créer un solide climat d'épouvante !



Aranea hilara



Un climat d'épouvante que Walthéry désamorce dans le même temps dans une avalanche de procédés comiques plus géniaux les uns que les autres, allant de la satire de la rodomontade au comique de situation le plus jubilatoire: on se gausse du chasseur de caïmans qui s'effraie d'une simple mygale après avoir proclamer son calme face à ses proies sauvages et on explose de rire devant l'effeuillage du Commandant Turbo par Natacha pour attraper une araignée qui n'a rien trouver de mieux que se promener dans son pantalon tandis qu'il se trouvait au poste de pilotage. Le tout, ornementé d'un cascade de calembours et autres jeux de mots - mention particulière à cette saillie de Walter: "le réticule ne tue pas !" - d'un running gag plaisant d'une cliente chicaneuse qui se plaint de ne pas avoir pu emporter son chien à bord alors que des scorpions le peuvent, et de quelques caricatures aux nombre desquelles Bruno Cremer et Arnold Schwarzenegger !
Une peur désamorcée par le rire mais aussi, veuves noires oblige, par une belle galerie de personnages féminins sexy, Natacha en tête. Outre les deux spider-woman, trois autres belles hôtesses, Thérèse, Vanessa, et une anonyme, comme des variations blonde, rousse et brune de notre hôtesse favorite, semblant confirmer les dires d'un Walthéry qui se reproche de ne savoir dessiner, quand il croque une femme, que Natacha.



Et si on se faisait une toile ?



En somme, un album à la fois sombre, comique, sexy et humain, mêlant jeux linguistiques et action pour un plaisir de lecture total et un réquisitoire contre les idées reçues réussi !


Attention. Cet album crée une telle addiction qu'il peut vous enfermer dans sa toile !


(* Oui, je suis un vieux con et je garde l'ancienne traduction du titre *La Bande tachetée ! ;) )

Frenhofer
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Envolées critiques: mes critiques de Natacha

Créée

le 13 nov. 2018

Critique lue 371 fois

2 j'aime

Frenhofer

Écrit par

Critique lue 371 fois

2

Du même critique

Les Tontons flingueurs
Frenhofer
10

Un sacré bourre-pif!

Nous connaissons tous, même de loin, les Lautner, Audiard et leur valse de vedettes habituelles. Tout univers a sa bible, son opus ultime, inégalable. On a longtemps retenu le film fou furieux qui...

le 22 août 2014

43 j'aime

16

Full Metal Jacket
Frenhofer
5

Un excellent court-métrage noyé dans un long-métrage inutile.

Full Metal Jacket est le fils raté, à mon sens, du Dr Folamour. Si je reste très mitigé quant à ce film, c'est surtout parce qu'il est indéniablement trop long. Trop long car son début est excellent;...

le 5 déc. 2015

35 j'aime

2

Le Misanthrope
Frenhofer
10

"J'accuse les Hommes d'être bêtes et méchants, de ne pas être des Hommes tout simplement" M. Sardou

On rit avec Molière des radins, des curés, des cocus, des hypocondriaques, des pédants et l'on rit car le grand Jean-Baptiste Poquelin raille des caractères, des personnes en particulier dont on ne...

le 30 juin 2015

29 j'aime

10