Châteaux Bordeaux offre un voyage dans l’univers viticole à travers le prisme du neuvième art. Edité chez Glénat, cette fresque familiale est l’œuvre conjointe du scénariste Eric Corbeyran et du dessinateur Espé. Cette saga est née en 2011 et a vu paraître en septembre dernier son sixième épisode intitulé Le courtier. La couverture de l’album nous offre Alexandra, son personnage central, en tenue de soirée en train de déguster un verre de vin au cours de ce qui semble être une réception guindée. Cette illustration confirme que l’immersion dans les vignes du bordelais se fait dans les pas de la sympathique et ravissante jeune femme de moins en moins néophyte au fur et à mesure de la découverte des différents opus.
En effet, le premier tome nous avait présenté Alexandra revenant des Etats-Unis assister aux obsèques de son père. Rapidement, la question de l’héritage du domaine familial donne lieu à un débat entre l’héroïne et ses deux frères. Ces derniers souhaitent le vendre en justifiant leur avis par les pertes croissantes qui accompagnent les cuvées récentes du lieu. Mais, leur sœur voit dans cette entreprise l’occasion de donner un sens à sa vie et de créer un lien subliminal avec son père. Elle se met donc en tête de redorer le blason de l’entreprise familiale.
Le souci est que bien que très volontaire, intelligente et courageuse, Alexandra n’en est pas moins inculte en domaine de viticulture et d’œnologie. Chaque nouvel épisode la voit découvrir un nouvel aspect de cet univers riche et complexe. Ce fil conducteur permet au lecteur de profiter d’un documentaire fourni et détaillé sur ce monde obscur et pourtant passionnant. J’ai pris beaucoup de plaisir à apprendre beaucoup de choses à chaque étape de cette aventure bédéphile. J’espérais que ce sixième acte allait conserver cette caractéristique.
Comme le titre l’indique, l’aspect central sera ici le courtage. Jusqu’alors, l’histoire se centrait essentiellement autour de la complexe chaîne de production. Je dois bien avouer que ce tome est le moins intéressant sur le plan documentaire. Est-ce dû au fait que l’héroïne s’éloigne de la vigne pour s’orienter vers une domaine plus économique et politique ou plutôt au fait que le côté universitaire de la série est mis en retrait pour laisser davantage de place au drame familial sous-jacent à toute évolution du projet mené par Alexandra ? Je ne saurais précisément dire. Néanmoins, je peux affirmer que le résultat sur ce point-là m’a un petit peu déçu. Mais le dénouement de la dernière page me laisse espérer que le courtage possède un potentiel intéressant sur le plan narratif.
« Châteaux Bordeaux » ne se contente pas d’être une version de « Le vin pour les nuls » en bandes dessinées. La série reste avant tout une saga familiale avec ses drames, ses rebondissements et ses cadavres dans les placards. Le courtier n’échappe à cette règle. Alexandra ne cesse d’enjamber des embûches plus ou moins ardues depuis que nous avons fait sa connaissance. La jeune femme voit sa volonté et sa détermination perpétuellement mises à mal depuis sa décision de reprendre en main Le Chêne Courbe. Ce dernier opus en date marquerait plutôt une accalmie dans la vie difficile de la nouvelle propriétaire. Sans être un long fleuve tranquille, son quotidien s’est apaisé et les rapports de force tendent à s’équilibrer en sa faveur. De plus, l’heure semble être à l’observation entre les différents protagonistes. Cette étape est peut-être indispensable à la relance de l’intrigue mais elle rend logiquement la lecture moins intense et passionnante. Cet album apparaît être une phase de transition qui suit une période qui s’est avérée être rude, difficile et riches en émotion. J’espère que le septième acte changera à nouveau de braquet tant sur le plan de la densité narrative que celui la force dramatique de l’histoire.
Côté dessins, la qualité est constante depuis le début de la saga. Le courtier retrouve donc les qualités et les petits défauts de ces prédécesseurs. Le trait d’Espé est juste et précis. Les décors sont remarquablement mis en valeur et participent activement à l’immersion du lecteur dans le Médoc. Les personnages sont suffisamment travaillés pour que le lecteur n’ait aucun mal à les identifier et se les approprier. C’est un aspect important dans le sens où le casting est relativement important. Le seul bémol que je pourrais faire concerne le manque de personnalité que possède le style d’Espé. Il lui manque un petit quelque chose qui ferait qu’en tombant sur une de ses planches, on reconnaisse son auteur immédiatement.
Pour conclure, Le courtier n’est pas l’épisode le plus marquant de la série. Tant sur le plan des événements que de l’atmosphère, les pages défilent « en charentaise ». L’album se lit sans difficulté et avec plaisir mais ne crée pas réellement d’émotions au lecteur. Le bilan est donc correct sans être enthousiasmant. Je ne pense que cela soit dû à manque d’investissement des auteurs mais davantage à un côté « ventre mou » du scénario global. J’ai bon espoir que le prochain opus permette à la série de retrouver son sympathique rythme de croisière à travers les vignes…