Ce douzième tome de la charmante collection de BD documentaire La Petite Bédéthèque des savoirs choisit de s’emparer d’un sujet peut-être moins évident mais pas pour autant moins intéressant, le minimalisme.
Il convie deux personnalités assez familières du sujet, aux carrières artistiques intrigantes.
Christian Rosset est ainsi compositeur de musique contemporaine, producteur d’essais radiophoniques, dessinateur mais aussi écrivain ou critique. Il a déjà travaillé avec Jochen Gerner sur la postface d’un de ses livres, Abstraction, et tous deux sont des réguliers de la maison d’édition indépendante L’Association.
Jochen Gerner m’est un peu plus familier, il avait été invité dans une galerie d’art contemporain de ma ville. Lors d’une rencontre avec le public, j’avais pu échanger quelques petits mots sur son livre Contre la bande dessinée : Choses lues et entendues, recueil foutraque mais diablement intéressant qui compile différentes remarques lues ou entendues contre le média de la bande dessinée (note à moi-même, qu’un jour il faudra relire pour intégrer les meilleurs exemples ici). Il avait semblé été amusé mais aussi rassuré que j’aborde l’ouvrage, il lui semblait tenir à coeur.
Un peu artiste, un peu dessinateur, un peu illustrateur, l’homme brouille les pistes. Dans ses travaux de créations artistiques, il assouvit sa fascination pour le recouvrement d’images, n’en laissant que quelques portions, parfois les silhouettes des paysages ou alors quelques bulles de dialogues. En 2002 avec TNT en Amérique il reprend le célèbre Tintin en Amérique qu’il recouvre d’encre noir mais en conservant quelques traces pour offrir une nouvelle lecture de l’album.
Ces travaux sont plus expérimentaux, et ne satisferont pas ceux qui attendent de la BD une image et une histoire, le vieux slogan. Mais ils témoignent des recherches d’un artiste qui s’empare du média pour en travailler de nouvelles formes. Ses bandes dessinées ou illustrations sont plus accessibles, mais on en reconnaît tout de suite la patte, des formes épurées et simples, généralement sans gaufrier. Les pages sont remplies de ces dessins et de ses textes, écrits à la main, pour des compositions chargées mais qui se lisent sans difficulté, avec un travail évident pour que le regard et la lecture ne soient pas égarées par la multitude d’informations. C’est ainsi qu’il travaille pour les illustrations de la revue hebdomadaire Le 1, compilées dans Repères, 2 000 dessins pour comprendre le monde chez Casterman ou bien pour cet ouvrage.
Cet instant Jochen Gerner, illustrateur minimaliste, vous ayant été généreusement conté, il est temps de revenir sur ce livre.
Avec ce tome, il n’est pas seulement question d’évoquer le courant artistique du minimalisme crée dans les années 1960 aux Etats-Unis, mais bien de s’autoriser quelques pas de côté assez rafraîchissants. Il n’est bien sur pas possible de ne pas parler des expérimentations musicales de La Monte Young ou de John Cale à épurer les partitions ou à offrir de nouvelles possibilités musicales au silence. Ou d’évoquer les installations artistiques épurées de Robert Morris ou Carl André.
Mais le slogan officieux du mouvement, « less is more », peut s’appliquer à bien d’autres artistes. D’ailleurs il date de 1855, énoncé par Robert Browning dans un poème consacré à l’artiste de la Renaissance Andrea del Sarto. L’épuration des formes ou des idées pour en proposer une vérité nue ne date pas de XXème siècle. L’ouvrage commence d’ailleurs avec Erik Satie, et sa pièce pour piano « Vexations » (un unique motif et deux harmonisations, à répéter 840 fois), jouée pour pour la première fois en 1963 par dix pianistes dont John Cale. D’autres artistes qui ont visé l’épure, parfois radicale, pour l’art, la recherche ou la provocation, sont cités tels qu’Alphonse Allais, Hergé (évidemment), Yasujiro Ozu ou certains genres tels que la poésie japonaise.
Les personnes ou leurs créations impliquées sont d’ailleurs représentées avec le trait simple de Jochen Gerner mais qui permet facilement de percevoir qui ils sont et ce qu’ils ont crée. Tandis que de nombreuses citations permettent de comprendre les pensées de quelques uns des artistes présents. Avec une concision efficace.
Il ne s’agit pas de citer pour le plaisir vain de la recension, mais bien de s’intéresser à ce qui les rapproche ou les sépare, dans un jeu de rebonds passionnant à lire. Deux interlocuteurs représentés par des têtes échangent parfois, débattent, mais il n’y a aucune construction fictionnelle, c’est bien une soixantaine de pages documentées qui sont proposées.
C’est l’occasion de tordre le cou à quelques idées reçues, sur l’austérité des artistes minimalistes (certains sont parfois de sacrés farceurs, voire débauchés) ou sur la facilité de la méthode. Enlever ce qui est en trop, rechercher une autre forme de vérité, aller au coeur d’un genre, ce n’est pas si évident.
Ce douzième tome de La Petite Bédéthèque des savoirs reste accessible, mais il n’est pas le plus évident de la série à aborder. Il faut suivre un flot massif d’informations, rebondissant d’un sujet à l’autre, mais la lecture est aussi enrichissante et stimulante, mettant en valeur les hommes et les œuvres, questionnant aussi ce qui fait leur force. On ne peut qu’en sortir plus instruit et plus avisé sur ce qu’est le minimalisme mais aussi par extension sur ce qu’est l’Art.
La Petite Critiquothèque de La Petite Bédéthèque des savoirs :
- Volume 1 : L'Intelligence artificielle par Marion Montaigne et Jean-Noël Lafargue
- Volume 5 : Le Droit d'auteur par Fabrice Neaud et Emmanuel Pierrat
- Volume 9 : L'Artiste contemporain par Benoît Feroumont et Nathalie Heinich
- Volume 11 : Le Féminisme par Anne-Charlotte Husson et Thomas Mathieu
- Volume 14 : Le Minimalisme par Christian Rosset et Jochen Gerner
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