Le Syndrome de Warhol
7.6
Le Syndrome de Warhol

BD franco-belge de Renaud Cerqueux et David Cren (2009)

Sans vouloir faire dans le jeu de mot pourri (... mais un peu quand même), c'est une vraie tuerie ce truc ! Un coup de maître, depuis le titre inspiré jusqu'à la dernière réplique en quatrième de couverture.

Première page de l'album, premier choc frontal : des tonalités sombres, puissantes, qui rappellent immédiatement le (sublime) Roi des Mouches (normal me direz vous, c'est la même coloriste) et un dessin d'emblée présent, très prégnant. Une ligne sauce Crumb dont le crayon plus gras et généreux se serait noyé dans la gomina. Ultra expressif. Magnifique. Dans la foulée, une seconde claque dans la mouille ; l'ambiance. Dès la scène d'ouverture, on est dans le trip. Une voiture, deux personnages de dos et une conversation teintée d'un « assent hispanique carricatoural si délicio (y'adore) » évoquent immanquablement les échanges Vincent Vega / Jules Winnfield dans le cultissime Pulp fiction. Oui, on y est dans cette bagnole, et ça pue le vieux jeans crade et le mélange patchouli, cheveux gras. Indice que ça ne va pas être tout propre, pas vraiment moral. Ça risque de saigner et même de trasher. Qu'importe ! On ne peut s'empêcher d'y hasarder un nez plus curieux, un œil voyeur un peu coupable et alpagué par le bout du cheveu on finira par y laisser toute la banane. Irrémédiablement chopé par un scénario déjanté déployant son imprévisibilité dans une épopée tragicomique underground, un road movie surréaliste où absolument tout est à déguster.

À tout saigneur, tout honneur, commençons par la présentation de nos « gentils » compagnons de voyage. Une schtroumpfette androgyne taille XXL à la diplomatie très... tactile ; un petit prodige de la gâchette et du silencieux camouflé derrière une frange adolescente et flanqué d'un alter ego mexicain, prince ès manipulation de l'outillage qui fait bobo là où ça fait le plus mal ; un succédané de Docteur Mangele métissé Folamour nostalgique inconsolable de toute une époque martiale et musicale ; et enfin, une meute inépuisable d'ic(l)ônes version Nashville à la mèche gonflée et au coup de reins diabolique... Pléiade improbable de héros, tous plus barrés les uns que les autres, mais que l'on va aimer spontanément. Charismatiques, si beaux, chacun avec une vraie gueule, ils font montre d'un incontestable panache dans leur démesure et dégagent une presque sensualité. J'ai éprouvé une réelle tendresse pour certains d'entre eux (l'Elvis de poche m'a fait fondre).

Une brochette « poétisée » par le génie de la mise en scène qui accumule les prises de vues inventives, les cadrages habiles et varie les grandes cases magnifiques ou les gigas gros plans dans ta tronche. Cette narration, pensée, réglée au poil de cul, dompte l'apparente anarchie d'une histoire dont elle désamorce la violence par une excentricité omniprésente. Ses acteurs délirants, son comique maitrisé dans les petits riens (un simple geste, un regard en coin), ses répliques à l'ironie vacharde ou sa logorrhée verbale à la philosophie souvent hésitante offrent un enthousiasme permanent qui se colorera d'une nuance supplémentaire quand débouleront les dernières planches. L'épilogue qui gratouillera les plus grincheux (pas moi en tout cas) par son côté « ah ouais, maintenant que j'ai bien déliré faut que je leur explique tout vite fait », mais qui libèrera par-dessus tout une ultime jubilation rétroactive. Le deuxième effet Kill Cool.

Après un premier Dérapage déroutant, les auteurs nous confirment qu'ils sont bien branchés sur le même courant alternatif en s'improvisant dealers horlogers d'un trash ordonné, burlesque et décoiffant. Prions qu'ils continuent de bosser longtemps ensemble (David ? Renaud ? Pas de blagues, hein ? Je suis méchamment accro' et va me falloir une dose régulière...).

Ça y est... Vous l'entendez maintenant ? La petite musique... Quoi ? C'est du Rock'n Roll ça ? Oh putain, quel pied !
Sejy
9
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le 18 août 2011

Critique lue 394 fois

2 j'aime

Sejy

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