Le Treizième apôtre.
Que ce titre est attirant ! Qu'il stimule le plaisir de lecture ! On s'en lèche les babines !
Déjà, on imagine notre adorable hôtesse de l'air impliquée dans une enquête ésotérique sur les fondements du christianisme avec le méconnu Saint Matthias pour point de départ.
Ayant lu Le Roman de Merlin de Robert de Boron, votre serviteur éprouvait une allégresse toute particulière à voir le remplaçant de Judas servir une intrigue digne du Da Vinci code dans un espace si inattendu, une aventure de Natacha !


Las ! Je suis cis qui est versés !
Mar vi le mur et les fossés (...) !

(Ndt: ceci n'est pas un extrait de l'Evangile apocryphe selon Saint Matthias mais une citation du Roman de la Rose de Guillaume de Lorris, reproduisant bien la frustration du lecteur. Selon le Pr Karel, on pourrait le traduire ainsi: "Hélas, je suis celui qui est renversé car, pour mon malheur, j'ai vu le mur et les fossés".


Las, oui, l'horizon d'attente est bien déçu après avoir été bien élevé par le titre et un premier cryptogramme déchiffré: on se bornera à chercher la tombe de Matthias pour trouver des tablettes autographes dont ... on ne se préoccupera pas.
Enfin si, on parle de son prix, de sa valeur, on le traite en objet texte, en artefact. Mais cela s'arrête là.


Cet album n' a en réalité qu'un défaut: son titre.
Le Treizième apôtre. Un titre efficace mais bien ambitieux au regard de la manière avec laquelle a été traitée la piste narrative concernant Saint Matthias.
L'importance d'un bon titre: ne pas sous-estimer son oeuvre, ne pas la sur-estimer non plus. La connaître et la faire connaître simplement mais à l'aide de mots percutants.
Natacha à la page, Natacha à Istanbul, ce n'est plus la collection Natacha: c'est la série des Martine.
Vacances à Istanbul. C'est trop limité. Tout comme Natacha et l'Orient-Express ou Une Hôtesse dans l'Orient-Express.
Mais Mystère à Istanbul, Fouilles à Istanbul ou, mieux encore, Le Tombeau d'Istanbul ! Voilà un dernier titre qui mêle le décor de l'intrigue et la piste du treizième apôtre ! Voilà un titre plus honnête qui évite l'écueil de la déception du lecteur et met l'accent sur l'essentiel de ce qui fait le vrai charme de cette nouvelle aventure de Natacha.


Et quel est-il donc ce "vrai charme" ?
Il est à la fois dans une couleur locale géopolitique et dans le jeu des allusions extra-diégétiques.
D'abord, Istanbul. Le décor de l'intrigue est en réalité l'intrigue, la chasse au tombeau e servant que de prétexte à peindre l'Istanbul des seventies de manière plus que réaliste.On se perd dans les ruelles, on visite le port, on admire le Bosphore. Au loin, perce la filiforme silhouette d'une tour de mosquée, au premier plan les étales des souks et leurs balances à l'ancienne, les magasins-hôtels. Cet aspect carte-postale va plus loin et, soigneusement dissimulé sur une boutade, se cache toujours quelques réalités, quelques anti-clichés. Ainsi apprend-on que le port des fès est interdit dans un pays où l'on en imagine un sur toutes les têtes masculines et que les femmes ne sont pas toutes voilées. Une case oppose même, autour d'une Natacha en débardeur et courte robe à fleurs, une femme vêtue d'un pantalon et d'un t-shirt qui se promène de dos en arrière-plan sans s'occuper de notre hôtesse favorite et une femme voilée en premier plan qui jette un regard désapprobateur sur la tenue de l'héroïne. Case intéressante s'il en est !
Intéressante autant pour le regard sur la conception nuancée du monde par les femmes arabes - et peut-être des femmes tout court aujourd'hui - que pour la métamorphose qu'initie cet album: Natacha troque son uniforme d'hôtesse de l'air qu'elle continue à porter au début de l'histoire avec des tenues plus courtes et plus légères, dont un petit bikini rouge qui a dû faire rougir les lecteurs et lectrices pour de multiples raisons. Ce qui peut être aussi un charme moins attendu de cet album.
Qui dit Istanbul dit aussi voyage. Qui dit métamorphose dit aussi changement de moyen de locomotion: pour se rendre dans l'ex-Constantinople, Walter et Natacha prennent le train et pas n'importe lequel! L'Orient-Express qui aura accueilli Hercule Poirot dans Le Crime de l'Orient-Express, James Bond dans Bons Baisers de Russie, Sherlock Holmes dans Sherlock Holmes attaque l'Orient-Express (entre autres) mais aussi Max la menace, le Docteur Who et bien d'autres ! Notre héroïne à la claque facile et au sourire enjôleur rejoint donc cette liste de héros et nous entraîne dans les couloirs du train mythique et de son bar ... qui n'est jamais ouvert.


Autre charme, plus classique dans l'esprit Spirou, ce sont les clins d'oeil extra-diégétiques: une planche se voit dédiée à Franquin et reproduit le décor sous-marin du *Repère de la Murèn*e, une aventure de Spirou et Fantasio; Certaines cases pastichent les dessins à la Hergé du scénariste de l'album, Maurice Tillieux; d'autres permettent à Walthéry de s'épancher et de confirmer l'identification Walter/Walthéry.


Un très bon album de Natacha donc mais empêtré dans l'annonce - due au titre - d'un scénario à la Indiana Jones (qui ne sera créé certes que quelques cinq ans plus tard ...) dont il ne se sert que comme prétexte. Un album à apprécier comme une belle invitation au voyage au côté d'une héroïne plus sexy que jamais.

Frenhofer
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Envolées critiques: mes critiques de Natacha

Créée

le 27 juin 2018

Critique lue 201 fois

5 j'aime

4 commentaires

Frenhofer

Écrit par

Critique lue 201 fois

5
4

D'autres avis sur Le Treizième Apôtre - Natacha, tome 6

Du même critique

Les Tontons flingueurs
Frenhofer
10

Un sacré bourre-pif!

Nous connaissons tous, même de loin, les Lautner, Audiard et leur valse de vedettes habituelles. Tout univers a sa bible, son opus ultime, inégalable. On a longtemps retenu le film fou furieux qui...

le 22 août 2014

43 j'aime

16

Full Metal Jacket
Frenhofer
5

Un excellent court-métrage noyé dans un long-métrage inutile.

Full Metal Jacket est le fils raté, à mon sens, du Dr Folamour. Si je reste très mitigé quant à ce film, c'est surtout parce qu'il est indéniablement trop long. Trop long car son début est excellent;...

le 5 déc. 2015

35 j'aime

2

Le Misanthrope
Frenhofer
10

"J'accuse les Hommes d'être bêtes et méchants, de ne pas être des Hommes tout simplement" M. Sardou

On rit avec Molière des radins, des curés, des cocus, des hypocondriaques, des pédants et l'on rit car le grand Jean-Baptiste Poquelin raille des caractères, des personnes en particulier dont on ne...

le 30 juin 2015

29 j'aime

10