Le retour fracassant du "chevalier maléfique"
"Qui es-tu Choc? Y a-t-il seulement un humain derrière le masque?" C’est l’amère question que pose l’inspecteur Fixchusset en constatant que "La Main Blanche", l’organisation criminelle dirigée par ce diable de Choc, s’est une fois de plus jouée de la police. Malgré les énormes mesures de sécurité prises sur l’aéroport de Heathrow, les malfrats sont, en effet, parvenus à détourner l’avion Swissair transportant "La nuit du désert", un diamant bleu de 38 carats appartenant au sultan Abdelawill Al Rosy, ainsi que 1.500 kilos d’or. Pour parvenir à leurs fins, le redoutable Choc et sa bande ne font pas de quartiers et n’hésitent pas à tuer des dizaines de policiers et de civils, sans aucun état d’âme ni scrupule. "Pitié, j’ai deux enfants", supplie l’un des inspecteurs. "Moi pas!", lui répond le criminel, en l’abattant froidement. L’inspecteur Fixchusset aurait-il donc raison? Choc, le "chevalier maléfique", ne serait-il pas doté d’un coeur comme tout le monde? Que du contraire! Dans ce fascinant premier épisode des "Fantômes de Knightgrave", on découvre petit à petit qu’il y a bel et bien un être humain qui se cache derrière le mystérieux empereur du crime et qu’il y a de vraies raisons qui justifient tant de haine. Après avoir terminé les 88 pages de cet album-événement, on se dit que c’est une riche idée qu’ont eu Stéphane Colman et Eric Maltaite de ressortir de l’oubli l’un des plus magnifiques méchants de l’histoire de la bande dessinée franco-belge: Monsieur Choc, le terrible et insaisissable adversaire de Tif et Tondu. Ce personnage inquiétant, créé par le dessinateur Will et le scénariste Maurice Rosy en 1955, a fasciné toute une génération de lecteurs, grâce surtout à son look unique, fait d’un éternel smoking et d’un inoxydable heaume de chevalier. Un vrai méchant, comme dans James Bond ou dans Fantomas, sur lequel on ne sait rien, ou presque, si ce n’est qu’il cherche toujours à faire triompher le mal. Qui est-il? D’où vient-il? Que cherche-t-il? Près de 60 ans après sa création, Colman et Maltaite nous en apprennent enfin un peu plus sur les origines et les motivations de Monsieur Choc, un orphelin qu’une enfance atroce a transformé en un monstre avide de revanche et d’ascension sociale. Tant au niveau du scénario que du dessin, les deux auteurs des "Fantômes de Knightgrave" se sont réellement surpassés pour signer cet album très cinématographique. Jouant habilement avec les flashs-back, Colman et Maltaite prennent le temps de révéler une à une toutes les pièces du puzzle. Au fil des pages, ces différentes pièces se mettent parfaitement en place, donnant naissance petit à petit à un génie du mal. Du grand art! On sent que les deux auteurs ont énormément de respect par rapport au personnage créé par Will et Rosy. Pour être certain de ne pas trahir l’esprit de l’oeuvre originale, Stéphane Colman est d’ailleurs allé présenter son projet à Maurice Rosy, avant le décès de celui-ci en février 2013, afin d’être sûr d’avoir son feu vert. Et il l’a obtenu! Quant à Eric Maltaite, il était certainement le dessinateur le plus indiqué pour reprendre le personnage de Choc, puisqu’il n’est autre que le fils de Will. Les nostalgiques du journal de Spirou des années 80 seront ravis de retrouver un Eric Maltaite de la même veine que lorsqu’il dessinait les aventures de "421", sur des scénarios de Stephen Desberg. Pour le dire clairement, la lecture des "Fantômes de Knightgrave" est donc chaudement recommandée, même si on n’a jamais lu un "Tif et Tondu" de sa vie. Avec tout de même un petit bémol: cette BD s’adresse aux ados et aux adultes, mais pas aux enfants. Certaines séquences sont effectivement particulièrement noires et violentes, à l’image de l’âme torturée de Monsieur Choc. Autant le savoir: certaines cases ont de quoi… choquer.