Cruel et violent
Dans un monde dirigé par la tribu royale, la famille des Lions, les carnivores règnent d’une main de fer sur les autres espèces animales. Véritables tortionnaires sans pitié, ils considèrent les...
Par
le 18 déc. 2017
2 j'aime
Dans la jungle, terrible jungle, le lion est fort. La race des lions règne en maître, sobrement baptisée la tribu royale. Elle tient sous sa coupe les hyènes qui les servent pour obtenir leurs restes et les gazelles de Thomson, esclaves humiliées mais qui sont préservées des appétits royaux grâce à la médiocrité de leur goût.
Car ces races animales ont évolué, elles parlent, elles sont bipèdes, mais les rapports de domination sont toujours présents, repris dans ce qu’on pourrait appeler une nouvelle civilisation, avec ses règles. C’est une Afrique reprise par les animaux, dont les habitations et les vêtements rappelleront ceux traditionnels des humains, mais dont il ne sera jamais question de leur présence, ou plutôt de leur absence.
La chasse n’est ainsi plus une affaire de survie, les denrées ne manquent pas pour les lions, mais une quête du goût, à la recherche de la meilleure chair, de la proie la plus savoureuse. Il ne reste ainsi plus quasiment plus de guépard, à la viande tellement recherchée que l’espèce est quasiment éteinte. Mais il reste la démone blanche, la dernière représentante, qui n’a pas renoncé à sa quadrupédie et dont les talents au combat sont redoutables.
L’auteur l’explique dans sa postface du troisième volume : une visite dans un zoo lui a permis de découvrir la beauté du guépard, qu’il voulait absolument mettre en manga. Dès lors, l’existence de Buena, gazelle de Thompson, a beau être le personnage central du manga, c’est bien grâce à la démone blanche que se déjoueront la plupart des conflits. Même quand elle n’est pas là, sa présence se fait sentir, que ce soit du côté de Buena qui la cherche pour l’aider dans sa lutte contre les lions ou du côté de la tribu royale dont sa poursuite irrigue tout le récit.
Buena incarne le regard extérieur du lecteur, notamment dès lors que la gazelle prend place dans le monde extérieur. Mais sa jeunesse et sa fougue lui offrent une détermination propre à tout héros de manga, bien qu’insuffisante face à la dangerosité des carnivores. Ses alliés devront l’épauler, bien que la méfiance soit de mise, la soumission à la race aux lions étant très mal vue. En trois tomes, c’est ainsi un certain nombre de tribus animales qui se découvrent, avec bien sûr les lions, les hyènes et les gazelles, tandis que viendront s’ajouter des zèbres et des chimpanzés, chacune avec son mode de fonctionnement et quelques une de leurs caractéristiques telles qu’on les connaît. La régulation sociale des bonobos par le sexe sera ainsi explicitement présentée.
Les Royaumes carnivores est une œuvre assez brute, réservée à un lectorat qui appréciera à la fois l’étrangeté de son récit et de ses créatures anthropomorphisées mais aussi la simplicité violente de son histoire. La loi de la jungle reste la même, les plus forts écrasent les autres. La tribu royale est présentée à travers deux princes, le massif Moussa, exhalté, et le placide Marsias, sûr de sa beauté mais fin stratège et guerrier redoutable. Moussa ne veut ainsi rien d’autre que faire des enfants à la guerrière blanche… Pour mieux les dévorer ensuite. La cruauté de l’un ou de l’autre ne laisse que peu de chances à quiconque se mettrait dans leur chemin, leurs griffes sont acérées, et le cuir des autres animaux si faible. Quelques boyaux gicleront.
Le trait de Yui Hata est lourd et massif. Il s’améliore même, le premier volume manquant encore de détails. C’est d’ailleurs la première série de l’auteur, et quelle réussite. Ses créatures sont pour la plupart musculeuses, taillées pour le conflit, ou bien la fuite. Il y a une certaine virilité qui leur est accordée, tandis que la grâce féminine de la démone blanche crée un beau contraste dans les affrontements avec elle. Il y a un sens de la composition certain, arrivant à rendre saisissants ces créatures de chair, aux ambitions bien contrastées. Dans les regards, dans les postures, il y a un travail dans chaque case qui cherche à capter l’attention. Ces animaux gardent certaines caractéristiques physiques, mais possèdent maintenant une stature humaine, le mangaka arrivant en quelques regards à faire passer le défi, l’ennui ou même la faim.
Le récit est relevé, l’aventure est musclée, mais pourtant assez malin. L’univers des Royaumes carnivores est vaste, chaque race ayant sa particularité. Des détails créent l’attention, des pistes semblent possibles. Chaque personnage est caractérisé, la rage au coeur. Vraiment, ces trois tomes ne manquent ni d’énergie ni même d’une certaine intelligence dans son propos, dans son nouveau darwinisme.
Et c’est donc un peu dommage que la série s’arrête là. Le troisième tome termine son histoire mais ouvre des nouvelles pistes et présente rapidement d’autres races. Ces trois volumes forment un arc, mais qui ne résout rien de la domination de la tribu royale, la gazelle ayant trouvé ses alliés, réunis autour de la démone blanche. Il y a des séries qui ne savent pas s’arrêter, et d’autres qui ont dû se terminer trop tôt. L’adaptation en français par les éditions Akata de cette excellente série méconnue est donc une aubaine, malgré les regrets de ne pas pouvoir en profiter plus longuement.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.
Créée
le 16 juil. 2020
Critique lue 161 fois
7 j'aime
3 commentaires
D'autres avis sur Les Royaumes Carnivores
Dans un monde dirigé par la tribu royale, la famille des Lions, les carnivores règnent d’une main de fer sur les autres espèces animales. Véritables tortionnaires sans pitié, ils considèrent les...
Par
le 18 déc. 2017
2 j'aime
Avec une couverture et un titre pareil, il m'aura fallu du temps pour me résoudre à ne serait-ce qu'ouvrir ce manga. Puis finalement, j'ai fini par y jeter un œil, m'émerveiller devant ce style de...
le 18 mai 2017
2 j'aime
2
Du même critique
La Culture est belle car tentaculaire. Elle nous permet de rebondir d’oeuvre en oeuvre. Il y a des liens partout. On peut découvrir un cinéaste en partant d’autre chose qu’un film. Je ne connaissais...
le 2 avr. 2020
50 j'aime
13
Le film adaptant le comic-book culte de Brian aura pris son temps avant d'arriver en France, quatre mois après sa sortie aux Etats-Unis tandis que le Blu-Ray est déjà sur les rayons. Pourquoi tant de...
le 5 janv. 2011
44 j'aime
12
En 2015, adaptant le comic-book de Mark Millar, Matthew Vaughn signe avec le premier KingsMan: Services secrets une belle réussite, mêlant une certaine élégance anglaise infusée dans un film aux...
le 30 déc. 2021
39 j'aime
12