On est cerné par les cons !, ont dû se dire les créateurs des Flingueurs lorsque les éditions Jungle, qui ont publié leurs trois premiers tomes, ont jugé préférable de troquer Raoul Fracassin contre Le Réseau Mirabelle, sans doute pour élargir le public. Le quatrième tome des aventures de l'agent caricature de Lino Ventura semblait alors compromis ou plutôt promis à ne connaître aucune sortie.
Mais en 2020, voici que sort aux éditions Val une nouvelle aventure des agents made in Lautner et Audiard accompagnés de pléthore de vedettes, du jamais vu !
Ce nouvel opus s'intitulera donc Les Flingueurs font le ménage dans la Jungle, est censé se déroulé en 1964 ( soit un an après les aventures du premier tome ) et fait se rencontrer brièvement Raoul et Hitler. Le moustachu se prend une gifle de la barbouze qui déclare que l'incident tient de l'anecdote. En fin d'album, Raoul assène le coup fatal: "C'est bien la première fois que bosser dans la jungle me rapporte quelque chose !"
Autrement dit, la première réjouissance de ce nouvel opus réside dans son saccage en règle des malfaisants éditeurs qui on voulu faire avaler son extrait de naissance à notre agent préféré, le titre n'étant en rien anodin, le passage d'une année à une autre tenant de la page qui se tourne, Hitler ayant eu un rôle de choix dans les aventures qui devaient supplanter celles de Raoul et l'ultima verba de Fracassin (pour cet album) apparaissant comme une flèche de Parthes savamment décoché.
Les Flingueurs font le ménage dans la jungle clôt les démêlés créatives une bonne fois pour toutes et permet à son héros une renaissance plus sereine, quoiqu'il porte le deuil en 4e de couverture des contributeurs qui ont dû aligner les billets en lieu et place des éditeurs pour permettre l'existence de ce nouvel album.
Mais Les Flingueurs font le ménage dans la jungle ne se borne pas à cela.
Il s'agit d'un récit plus simple mais aussi plus jouissif que ses prédécesseurs, aux enjeux supérieurs, renouant avec le Clash et son terrifiant cerveau, Alphonse Bilduberg et réunissant pour la première fois dans une équipée digne des Oies sauvages ou des Expandables l'ensemble des personnages des précédents tomes: Raoul Fracassin (Lino Ventura), Wladimir Routine (Bernard Blier), James North (Michel Constantin), Lord Winston Caine (Francis Blanche) mais surtout Emma Bond (Diana Rigg) et Lisa Beauséjour (Mireille Darc) !
C'est donc aussi l'occasion d'un hommage appuyé à Christopher Lee et Mireille Darc et, de façon plus inattendu, à Diana Rigg, qui était encore en vie à l'heure où l'album était en cours de confection. L'occasion de traiter du féminisme ambiant avec plus de finesse, de drôlerie, d'empathie, dans une démonstration plus féministe que metooïste, c'est à dire plus à l'image des figures sixties de Mireille et Diana qu'à celle des chouineuses twenties de Rose McGowan et Sandra Muller. Après tout, dans la jungle, on balance davantage des grenades que des porcs.
Ce quatrième tome donne toujours dans son point fort, la caricature de célébrités du cinéma et offre ici une farandole folle: Terry-Thomas, Bernard Lee, Bourvil, Robert Hossein, Pierre Tornade, Jacques Dufilho, Grosso & Modo, Jacques Marin, Jean Bouise, Daniel Emilfork, Michael Clark Duncan, Ian Fleming (avec un nom tout en référence: guide de jungle au sortir de l'avion, il est nommé Vinvent soit WinWind en anglais) et surtout, encore qu'en caméo un certain Michel Audiard ! Et bien d'autres: rejoignez-nous au Jungle Rock Bar et voyez si je mens !
Certes, certaines rencontres sont assez problématiques: Raoul rencontre un Hitler survivant et trois figures de fiction qui se fondent dans leur plus notable interprètes et se confondent avec eux. Mais c'est un vrai plaisir et un beau clin d'oeil - au sens littéral, d'ailleurs - de l'ami Raoul.
Venez donc partager la béchamel de Raoul Fracassin et ses amis, qui a plutôt l'allure d'une sauce extrêmement ragoûtante, et régalez-vous !