La déflagration Lanfeust en 1994 ravage le paysage éditorial de la bande dessinée des années 1990-2000. Suite à ce succès, tout éditeur veut sa part du gâteau de l’heroïc fantasy en BD, ou du moins une version légère et grand public, avec si possible son héros courageux (homme ou femme, mais dans ce cas peu vêtue), des méchants et des créatures reconnaissables. A la suite de Soleil, qui publie Lanfeust et bien d’autres dérivatifs, différents éditeurs s’y mettent, tels que Bamboo ou Casterman.
On ne peut pas accuser toute la production d’être cynique, certains scénaristes et dessinateurs sont satisfaits de pouvoir mettre en forme leurs goûts pour le genre. Et si certaines séries n’apporteront rien de plus au genre, ne sortant pas des sentiers battus, d’autres vont au contraire tenter d’offrir leur propre vision. Les brumes du Miroboland (ou plutôt son « remontage » Le Chemin des fous) en est un bon exemple, de même que cette Agence barbare, d’Olier et Marko.
La particularité de cette série est son mélange des genres, rapprochant avec gourmandise son univers de fantasy aux conventions de la série policière. Cette Agence barbare fait régner la loi et l’ordre dans les rues d’Astaris, grande ville cosmopolite remplie de créatures bien différentes, dont ce commissariat est aussi le reflet. Le premier tome commence même avec le rituel habituel, celui du vieux briscard, Drago, qui fait la connaissance de son nouvel équipier, l’enseigne Jason Brisemür, jeune recrue naïve mais volontaire comme il va de soit. La construction de ce nouveau duo et la découverte des bas fonds de la ville permet d'amener le lecteur à la rencontre de ce petit monde imaginaire, avec ses particularités, où les problèmes se règlent par l’ épée ou autres armes et que la magie n’est pas loin.
Si le premier épisode commence par le meurtre d’une partenaire, l’enquête qui va se dérouler va permettre d’en savoir plus, développant des fils pour les prochains tomes, où il sera question d’une société secrète malveillante prête à prendre le pouvoir. De l’action, il y en aura, mais les auteurs mettent progressivement en place les recoins de leur monde, qui se dévoileront au fil des recherches des agents impliqués, des collègues s’ajouteront au fil des aventures. L’aspect enquête policière n’est donc pas dédaignée, et c’est une bonne chose, les personnages font leur travail par professionnalisme et conviction, plutôt que se lancer dans une énième quête qui serait clichée sans cette idée.
La trame globale se tient, les intrigues aussi, le tout avec un sérieux qui n’est jamais pesant, car toujours accompagné d’un certain humour parfois mordant. Les personnages ne sont guère surprenants, l’originalité n’est pas là mais plutôt dans leur personnalité, avec des dialogues assez bien écrits, très vivants. Pas de tirades ronflantes, mais bien des héros du quotidien (en tout cas celui d’Astaris) qui veulent faire leur job, quitte à se rudoyer entre eux ou bien à se serrer les coudes. Il faut aussi souligner quelques trouvailles de jeux de mots dans les dialogues, parfois si bien intégrés qu’ils sont parfois quasiment invisibles avant que la découverte ne laisse éclater un petit sourire. La série a ainsi l’art du calembour, qu’elle emploie avec une distance faussement innocente, tout à fait adaptée à des histoires qui ne sont jamais trop sombres.
Au fil des tomes, le trait de Marko s’affine et se peaufine, pour un rendu plus rond et plus proche de certaines conventions du dessin animé. Les premiers tomes sont un peu fouillis d’un point de vue visuel, notamment dans les compositions, et si cela s’arrange par la suite, ce n’est tout de même pas une série qui s’admire pour ses visuels.
Qu’importe, L’Agence barbare est une série légère et divertissante, dont l’alchimie entre la série policière et ce contexte de fantasy est bien exploitée, notamment grâce à ses personnages et son humour. Une série tout simplement amusante et délassante sur ses 4 tomes, hélas arrêtée sans offrir une conclusion à l’intrigue principale. Flûte.