Peur du noir ? Frigorifié par les préceptes moraux du comique et son éthos sévère du comment et de qui se moque-t-on ? Non ? Tant mieux ! Car l’humour de potence n’a pas de tabou. Et il m’est pénible de concevoir une culture BD équilibrée et sage spoliée de sa poésie ébène. Amputée des plaisirs masochistes, incontournables, d’un libre arbitre tiraillé entre la spontanéité du rire et le flegme de la décence. Haro donc ! Décrassons nos inhibitions ! Fustiger la stupidité, conjurer les angoisses en nous gloussant de la réalité (pour ne pas en pleurer ?) ! Si le panorama de cette politesse du désespoir (joliment baptisé par Achille Chavée) ne nous autorisait qu’une œillade orpheline, adoptons les sentiers imagés de Macadam Valley.
Alors bienvenue !
Dès les premiers pas, d’aucuns relèveront une filiation singulière. Du format italien aux tonalités gémellaires de la couverture, depuis la construction narrative jusqu’en toile de fond, voire un clin d’œil ironique dans le titre, l’album transpire l’aura du sensationnel « Ice Haven ». Hommage décalé ou hasard croustillant ? Passons. Les chemins divergent là où Clowes acère son pamphlet social en exhibant la banalité du quotidien alors que Dessy emprunte les voies de la loufoquerie acide.
En effet – revenons à notre bourgade avenante –, la bande à Ben, avec ses bouilles à croquer et ses éraflures à la tirelire, trimballe son déphasage existentiel aux quatre coins de la vie de tous les jours. Et c’est Monsieur le Maire qui régale ! Castagnant les conventions du savoir-vivre à coups de strips ravageurs, boxant les convenances avec un cynisme hilarant, rimant irrévérence avec intelligence dans l’acuité de la figuration. Crédulité, effronterie, surprise, fatalité, inquiétude (même les ustensiles jouent du sentiment) ; l’attirail de la bonhommie est prodigue et chaque nouvelle expression, chacune des mues émotionnelles confond par son éloquence unique. Affinant les perceptions, épurant les images, la ligne sobre, minutieuse, émancipe les ultimes idées encore dissimulées. Les saynètes achèveront de se dénuder aux outils de la dérision : mots valises librement réinterprétés, symbole ou propos empoigné au pied de la lettre, croche-pieds graphiques et parodie salée… Soumis par le talent, aiguisés de subtilité, ils façonnent le détachement glacé de chutes à plusieurs temps. Absurdes ou choquantes. Jubilatoires, mais sans mépris.
Je voue une reconnaissance affectueuse à l’auteur pour tous ces courts tableaux salutaires qui continuent d’habiter ma mémoire, longtemps après les avoir lus. Je ne résiste pas à l’envie de vous livrer l’un de mes favoris (Strip 51 du blog ; il n’est pas dans le bouquin, mais on s’en fout).
Un petit garçon en chemise de nuit se tient immobile sur le pas de la porte. Une moustache « brosse à dents » tristement célèbre orne sa lèvre supérieure et une longue mèche balaye son front. Visiblement, le gamin sort d’un sommeil agité et il observe son père lisant le journal dans son fauteuil.
Le papa : « - retourne te coucher Adolf… Ça n’existe pas les monstres »
*Terrassé par le triple effet kill cool : se figurer un des pires criminels de l’humanité en mouflet inoffensif / s’interroger sur ce qui pouvait bien lui coller les miquettes (qui hantait ses cauchemars ?) / LA réplique laconique assenant le coup de grâce
Prêt à succomber ?
Que Belzébuth vous patafiole si vous n’y trouvez pas le bonheur !
Apostille : c’est avec une mauvaise foi occasionnelle que je conseille l’achat. Il serait déloyal de soutenir l’urgence impérative à acquérir l’objet. Il y a beaucoup moins de matière dans le bouquin que sur le blog (y’a un blog, je ne vous l’avais pas dit ?), et l’on peut, avec la même injustice, reprocher la brièveté d’une lecture réclamant moins de temps qu’il n’en faudra pour parcourir cette assommante chronique. Pour ma part, je privilégie le support papier et, par dessus tout, il faut encourager l’auteur…