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Malaises
6.2
Malaises

BD franco-belge de Gus Bofa (2002)

Malaises ? De ce titre fédérateur, de ce leitmotiv affiché, collection d’illustrations qui voudrait encourager la mise en berne de nos enthousiasmes, des malaises que ce drôle de gusse aspire à me prêter, je n’en ai éprouvé qu’un : celui, à regret, de n’avoir rien ressenti, d’être passé à côté. En marge des dithyrambes d’un Mac Orlan, Blutch ou De Crecy, je me suis surpris transparent, froid. Ou simplement trop con. Alors, avant de faire le deuil prématuré de mon moteur intellectuel et affectif, chercher une dernière fois à comprendre : pourquoi la plupart de ces figurations a eu tant maille à partir avec le parti-pris arbitraire de ma sensibilité ? Pourquoi, bien que prenant soin de choisir le plus chagrin des jours pluvieux pour mes lectures, fut-il si compliqué d’amorcer la machine à coller le bourdon ? Il se dégage pourtant une telle évidence de tristesse, un pessimisme verveux dans l’indéniable talent graphique inondant ces crayonnés raffinés, tout en courbes hésitantes nourries à l’atrabile et au charbon. Mais rien à faire. Si le plaisir des mirettes enhardit ma ferveur, je me refuse à jouer le faux-cul accompli en singeant l’émerveillement.

La beauté ne fait pas tout. La majorité de ces scènes, des morceaux de vie figés, captés en autant de moments suspendus, libèrent une authenticité dont la vérité émotionnelle souffre malgré tout d’un irrémédiable décalage temporel. Des respirations appartenant à une autre époque, semblant surgir d’un autre monde qui ne cadre plus avec les préoccupations, avec les réalités du nôtre. L'éloquence du regard, la force, la finesse sont intimement liées à une forme de vécu et chaque peinture se dénuderait certainement sans pudeur pour des yeux initiés aux mœurs, aux temps de sa genèse. Je n’y ai vu qu’un (terrible) charme d’avant-guerre, désuet, une mélancolie de vernis, intrinsèquement, essentiellement liée au trait, où le sentiment affleure dans de rares représentations ; les plus intemporelles. Ici, sur le bureau immense d’un milliardaire dont le vide effroyable semble faire écho à celui de sa vie. Peut-être là, dans la visite d’un appartement annonçant les déchirures d’un départ, d’un recommencement. Ou encore là, au petit matin quand la vision de ce couple au réveil trahit une séparation proche. Cependant le cafard n’est jamais immédiat, mais supposé, pire : réfléchi. Là où chacun de ces arrêts sur le temps, sur ces images du quotidien, communes, voire dérisoires, devrait frapper d’évidence, impulser une hésitation où explose la conscience soudaine de la fragilité de notre existence, de sa futilité, il m’aura fallu chercher, arracher une issue émotionnelle, souvent forcée et artificielle dont je ne suis pas certain que monsieur Bofa la désirât si hermétique. Dans ces conditions, difficile de revêtir la panoplie de victime, de s’approprier la constante de l’oeuvre, ce vague à l’âme tant convoité, mais péniblement taquiné, éphémère, et, en fin de compte totalement illusoire.
Sejy
5
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Créée

le 27 févr. 2014

Critique lue 157 fois

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