Entre la bédéiste Florence Magnin et moi c’est une vieille histoire d’amour. J’avais 12 ou 13 ans et je m’aventurais pour la première fois dans le rayon réservé aux bandes dessinées pour adultes de la bibliothèque municipale quand un titre a retenu mon attention : Le Pays Roux. Il n’en fallait pas plus pour que mon imagination s’active. Quelques jours plus tard, une tempête de verglas s’abattait sur mon village et nous nous retrouvions sans électricité. C’est à la lumière d’une lampe-torche, emmitouflée dans mes couvertures, que j’ai plongé pour la première fois dans son univers. Et quel univers! Je n’en suis jamais tout à fait ressortie il me semble…
À l’époque elle était aux dessins seulement et Rodolphe se chargeait de l’histoire mais n’empêche que sa vision et sa personnalité transparaissaient déjà dans ces albums. Les dessins étaient somptueux (et ils le sont encore) : riches en détails avec des harmonies chromatiques complexes (un peu comme on pourrait s’imaginer les illustrations du livre de conte idéal), un visuel très immersif pour le lecteur. Et cet aspect mi-rêve enchanté mi-cauchemar qui est sa signature m’a conquise... Depuis je me suis procuré toutes ses bd. Et je dois dire qu'à chaque lecture d’une nouvelle œuvre, je suis toujours parvenue à redevenir l’enfant que j’étais cette nuit-là quand j’ai lu Le Pays Roux.
Magnin est aussi très bonne pour travailler seule : le cycle L’Héritage d’Émilie et le roman graphique Mascarade sont là pour en témoigner. D'ailleurs selon moi le résultat est encore meilleur (plus original, mystérieux et sensible) lorsqu’elle assume à la fois le rôle de dessinatrice et de conteuse!
À ceux qui se demandent ce que son travail a de si particulier je répondrais : pour moi ce qui fait toute la saveur de son art c’est ce mélange presque dérangeant entre un onirisme enfantin (qui évoque l'univers du Conte) et plus sombre et cruel, qui fait que l’horreur n’est jamais cachée bien loin… Car détrompez-vous, malgré l’impression laissée par sa couverture Mascarade est un ouvrage surtout destiné aux adultes, du moins ceux d'entre eux qui n’ont pas complètement étouffé leur enfant intérieur (c’est nécessaire pour adhérer à la magie du récit) mais qui sont assez matures pour faire face aux ténèbres. Son travail est aussi plein de poésie, de mystère. On voit qu’on a affaire à une amatrice de folklore et de mythologie.
Pour parler plus précisément de Mascarade : Ce fut une lecture mémorable, riche en émotions. Magnin est vraiment une auteure en + d’une artiste visuelle. Le récit est dense, complet (bonne idée que ce format de 240 pages) et empreint de symbolisme (il semblerait qu’elle se soit inspirée d’Alice au Pays des Merveilles) mais on perçoit d’autres influences littéraires, cinématographiques et folkloriques.
Je ressors de ma lecture avec un étrange sentiment de nostalgie, voire de mélancolie, quelque chose de doux-amer qui s’est installé en moi et qui durera sans doute plusieurs jours… Selon moi c’est signe d’un récit initiatique bien mené, j’avais exactement le même sentiment par exemple après ma lecture du Grand Meaulnes ou de Peter Pan.
J’espère de tout cœur que Mascarade sera mieux connu car ce roman graphique mérite de trôner dans la bibliothèque de tous les rêveurs qui savent encore s’émerveiller afin que Florence Magnin puisse continuer d’ouvrir d’autres portes vers des mondes fascinants et que je puisse m’y promener encore et encore. Je vous souhaite de découvrir à votre tour cette magie… Car oui, elle est magicienne Florence Magnin.