Quand Rica crée Minus, le démiurge n’ajoute pas à la longue liste des personnages de bandes dessinées un être serein, heureux et joyeux. Bien au contraire. Minus est une cellule cancéreuse, qui vit sa petite vie d’employé de bureau avec la plus grande hypocrisie, érotomane compulsif qui n’a que peu de respects pour la gente féminine.
Bien conscient d’être un salaud, il sauve les apparences en public pour ne pas s’attirer des problèmes, invite ses collègues à boire un coup de temps en temps et voit régulièrement ses parents pour échanger des banalités. Mais derrière son allure de branleur à la cool, derrière son sourire blasé, c’est un doigt d’honneur qu’il fait à toute la société. Connard qui ne veut pas être sauvé, qui se considère comme irrécupérable, même si ce n’est pas l’avis d’une de ses collègues, Minus va progressivement prendre pied dans l’océan de noirceur dans lequel il arrivait jusque là si bien à patauger.
Avec Minus, Rica crée un nouvel avatar de l’homme moderne, à l’hypocrisie évidente -et tout le monde n’est pas dupe- et à l’égoïsme exacerbé. Un jeune homme cynique et sournois, prêt à tout pour arriver à ses fins, l’éveil de ses sens par une sexualité enragée. Celle-ci trouvera un exutoire avec la livraison d’une poupée gonflable de luxe, sur le compte du voisin, mais elle n’aura qu’un temps, il lui faut le sexe féminin, à dominer. La violence sexuelle contre « Crétinette » (il ignore son nom, elle est pour lui de celles reconnaissantes qu’on les remarque) sera le premier pas de sa perte avec la réalité.
L’album de Rica plonge donc dans la noirceur d’un homme, sûr de lui, de ses opinions, de ses pensées, mais obligé de cacher une part de lui-même devant le reste de la société, grouillant dans une urbanité étouffante. Sa personnalité acide et même toxique fait de Minus un anti-héros des temps modernes, immoral et détestable, et pourtant qu’on ne peut quitter du regard, avec l’oeil du voyeur qui veut en connaître toutes les limites et assister à sa chute. La descente aux enfers sera réelle, mais la conclusion apaisée, trop brutale, apparaît comme précipitée, pas à la juste mesure du parcours observé.
Rica, au scénario et au dessin, nous présente donc son bébé, et il ne respire pas la joie de vivre. Son trait pour cet album est assez réaliste, pourtant combiné à un trait légèrement élastique. Ses personnages ont parfois les traits étirés, presque grotesques, comme autant de personnages prêts à basculer dans le cauchemar. Celui-ci arrivera, et Rica peut alors tordre ses traits, déformer ses compositions, comme si le siphon de la chasse d’eau attirait à lui Minus et son cadre. Le reste de l’album les compositions seront plus statiques, presque glaçantes, baignées dans un noir, blanc, gris qui ne relève pas le niveau de gaieté de l’album. Difficile de ne pas penser au Charles Burns de ces années, son monde noir, ses personnages étranges et son atmosphère en bichromie noir et blanc. Même si Rica offre un trait plus souple, qu’il utilise à merveille dans ses représentations de l’acte sexuel, charnel mais triste voire désespéré.
Chronique d’un petit con, miroir d’un égoïsme moderne, symptôme d’une sexualité malade, Minus est un album noir, glauque, moderne mais terrifiant, où la caricature sordide est explicite.