Je dois avouer à ma grande honte que je ne connaissais ni Antonio Altarriba, ni Keko, et je me suis donc pris ce "Moi, Assassin" comme une grande claque autant esthétique que conceptuelle. Le remarquable travail en clair obscur de Keko combine un réalisme quasi photographique des lieux (les amoureux de Madrid ou de la Place des Vosges en seront enchantés) avec la profondeur métaphysique que nécessite le sujet du livre. Mais c'est surtout le scénario et le récit de Altarriba qui font de ce livre une oeuvre marquante, voire exceptionnelle : au delà des délires artistico-criminels de son personnage principal, Altarriba nous livre une description minutieuse et cruelle du petit monde de l'université et de l'art espagnol, déchiré par des conflits politiques (la question basque, blessure ouverte dans le flanc de la démocratie espagnole) autant que par les ambitions personnelles et les inévitables mesquineries entre collègues et concurrents. La construction du livre, entre flashbacks illustrant les théories du professeur Ramírez et ses crimes inventifs, et chronique précise de la dérive d'une vie qui s'effondre progressivement, avec l'implacabilité du destin typique du roman noir, conduit le lecteur vers une fin peut-être un peu frustrante mais parfaitement logique. [Critique écrite en 2014]