Une grosse claque ! Tout simplement.
Frédéric Bézian, avec l'aide de Noël Simsolo, réussit à faire ce en quoi il échoue seul (Les Garde-fous, Aller-retour). Il parvient à nous faire pénétrer dans l'univers de ces histoires successives, qui n'en sont en fait qu'une seule si on arrive à se placer du bon point de vue ; celui du couple et de leur maison, les authentiques personnages principaux de Ne touchez à rien. Comme tout le monde, ils ont leurs amis et leurs ennemis et ceux-ci (les locataires et/ou visiteurs successifs) sont traités comme il se doit. Et de ce point de vue, le lien entre les histoires est évident et c'est très simple de s'y retrouver. On parle de la jeunesse, de l'âge adulte et de la vieillesse de cette maison comme on aurait parlé de ceux d'un humain, mais la relation au temps est évidemment différente.
Il n'y a sans doute rien de plus difficile à mettre en place qu'une ambiance fantastique qui existe (et fonctionne) par elle-même. Et là, il est vrai qu'on adhère ou pas au style. C'est une question de goût et de sensibilité qui dépend de chacun. Le couple, toujours muet, n'est pas là pour expliquer sa condition et il n'y a certes personne pour donner de détails sur ce fascinant baobab. On n'est pas dans un gros film étasunien qui vous donne des raisons et des explications à tout et sur tout. A l'instar de certains personnages qui sont "choisis", pourrait-on dire, parce qu'ils ont été charmés, séduits ou je ne sais quoi - sans même savoir pourquoi eux-même - le lecteur sera réceptif ou non à la poésie macabre de ce récit magnifique, qui renoue avec une certaine tradition littéraire fantastique du XIXe siècle. La première des quatre parties évoque très fortement des récits d'Edgar Allan Poe par exemple, et les références culturelles sont sans doute un peu trop voyantes mais pas gênantes pour autant (Chabert, Fournier, Bovart, Ravillac).
Le dessin de Frédéric Bézian est excellent et certaines cases en "cinémascope" sont absolument fabuleuses. La seconde visite par exemple, celle de l'artiste peintre, est une des séquences les plus abouties du livre et évoque les couloirs de l'hôtel de Shining (avec l'émotion en plus). Je pense en particulier à la case 2 planche 25. Le sens du cadrage ainsi que la qualité de la composition graphique alliés à la sobriété efficace du scénario de Simsolo, font de cet album une merveille de bande-dessinée fantastique horrifique, genre casse-gueule par excellence de la BD. Voir par exemple les adaptations peu convaincantes de Lovecraft par Horacio Lala (Le Grimoire maudit) ou Les Dossiers du fantastique de Florenci Clavé, qui cependant n'était pas totalement inintéressant.