Il devait arriver, le tournant ouvertement politique de la série, ou plutôt revenir. Ce trentième volume présente au moins l’intérêt de signaler explicitement le lien avec Woodbury et son Gouverneur (1). Le lecteur un minimum attentif au sens des mots, fût-il en l’occurrence le lecteur d’une œuvre qui ne constitue pas vraiment un incontournable de la philosophie politique moderne, aura remarqué que l’ordre mondial proposé par la Communauté (elle n’a pas d’autre nom) qui fait son apparition dans Nouvel Ordre mondial ! n’a, précisément, rien de nouveau. C’est l’ancien, ou l’actuel, je veux dire le même qu’avant l’épidémie : les pauvres servent les riches et les riches font croire qu’ils servent la société.
Plus exactement, il y a ceux qui exercent confortablement le pouvoir et ceux qui le subissent en espérant plus ou moins secrètement l’exercer un jour. Que Rick détienne le pouvoir sans richesse ni confort est précisément ce qui étonne Pamela. La Communauté semble un régime ploutocratique qui lorgne vers le modèle technocratique (2) tout en se définissant comme démocratique, et c’est là que tout ça va devenir crispant pour les personnages. Alors, la série serait-elle devenue une apologie de l’autogestion, ou tout au moins – si tant est que ça signifie quelque chose, d’un pouvoir à visage humain ? Il me semble qu’on en est loin.
Dans un embryon de débat entre les six voyageurs quant à l’opportunité de rester dans l’Ohio, apparaît l’objection selon laquelle la grande taille de la Communauté impliquerait peut-être une telle forme de gouvernement. L’argument est répandu bien en-dehors de la fiction – des spécialistes de géopolitique auto-proclamés justifient ainsi tout ce que le gouvernement chinois fait de pire –, et j’ai peur qu’il soit amené à prendre du poids dans les volumes suivants. À aucun moment n’est émise l’idée que 50 000 habitants, c’est peut-être trop…
Du reste, aussi bienveillant que soit le regard porté par la série sur le caractère utopique de la ligne de conduite incarnée par Rick, rien dans l’album ne remet en cause l’une des idées sur lesquelles se fonde la cité nouvellement découverte : la notion de répartition du travail. Pour Pamela (3), à chaque personne son talent, et à chaque talent la profession appropriée. Or, Nouvel Ordre mondial ! ne remet jamais en cause cette idée : il est vrai qu’elle est à la base de notre société, faite de bilan de compétences et (anciennement déjà) de conseillers d’orientation / psychologues. Ce que les personnages les plus radicaux de la série semblent critiquer, c’est le fait que la profession débouche sur une rémunération – étant entendu que les dirigeants de ce système technocratique de l’Ohio, incapables de tuer un seul zombie, considèrent que savoir tuer un zombie est un talent subalterne, donc peu payé.
Un dernier point, concernant le personnage de Sebastian (doublon du fils Monroe d’Alexandria, soit dit en passant), qui se situe entre une jeunesse dorée qu’on croyait rayée de la carte avec l’apocalypse, et une incarnation du népotisme qui régnait dans la Rome tardive telle qu’on se la représente (4). Le statut de ce jeune homme détestable et le rôle qu’il joue ne remettent jamais en cause l’ordre mondial dont sa mère se réclame. Au contraire, ils semblent indiquer que sans un nombre restreint d’abus individuels, tout irait pour le mieux.
Cette critique, vous l’aurez peut-être remarqué, propose une lecture exclusivement politique : il me semble aussi le propos de ce volume est exclusivement politique. Ah, non, pardon : on apprend que Princesse sait très bien se servir d’une lance, ce qui peut toujours servir.
(1) Au passage : c’est une machine qui traduit Walking Dead, ou bien ?
(2) Les compétences – présumées, mais qu’on ne voit pas en actes – justifient le pouvoir, qui justifie la rémunération.
(3) Comme avant elle pour Douglas et Regina Monroe, si mes souvenirs sont bons.
(4) Et on sait à quel point la décadence romaine hante la pensée politique anglo-saxonne.
Ma critique du tome 29 ici, du 31 là.