Années 70

J'effectue un petit retour vers Tanguy et Laverdure. Ce triptyque d'aventure des années 70 montre les difficultés d'un modèle narratif pour expliqué un monde dont les enjeux changent.

Titre : La mystérieuse escadre Delta / Opération tonnerre / Plan de vol pour l'enfer

Série : Tanguy et Laverdure « Les chevaliers du ciel »

Auteur : J M Charlier (scénario) Jigé (dessin) & Serres (dessin)

Publication : Super As 1979.

Publication album : Dargaud 1979 - 1981 – 1982.

Attention : La numérotation des pages utilisée correspond à celle indiqué par le dessinateur sur ses planches.

Éléments d'analyse :

L'histoire témoigne de son époque de création, on perçoit une résurgence de l'actualité, thème cher à JM Charlier dont il a du s'éloigner au cours de années 50.

Recyclage :

JM Charlier bâtit son histoire en s'appuyant sur de solide procédés dramatiques, il réutilise comme à son habitude, des séquences déjà utilisé dans d'autres album. L'utilisation de la vidange des réservoirs (''vite vite'') destiné à provoquer une explosion derrière l'avion est déjà présente dans l'aventure de Buck Danny « NC 2265 ne répond plus » contrairement à cette dernière aventure l'épisode ne constitue pas le point culminant de l'aventure mais juste une péripétie, la finalité en change Buck Danny utilise ce système pour détruire l'avion ennemi, pour Tanguy ce n'est qu'un moyen d'éviter un tir de missile.

On remarque également que la série « Tanguy et Laverdure » est par rapport à « Buck Danny » beaucoup plus avare d'explications techniques. On ne relève pas la présence de notice explicatives dont les albums de « Buck Danny » sont truffé (environ 2 par albums). Les explications techniques sont soit supposer être connus du lecteur (cas du ''vite vite''), soit intégré dans le corps du récit (cas du relevé par triangulation de la position des rebelles « Opération tonnerre » P31 1/ 2, 3 & 2/1), soit réduit à une courte explication uniquement textuelle (explication du phénomène de la portance « Opération tonnerre » P20 3/ 2).

Vision de la femme :

Contrairement à la série Buck Danny, elle aussi scénarisé par JM Charlier, Tanguy et Laverdure ménage une place importante aux personnages féminins.

Si elles apparaissent comme un élément désormais indispensable, leurs statuts évoluent guère.

– La femme apparaît ainsi d'abord comme une créature frivole comme en témoigne les fiancées de Laverdure ( P 1 & 2) et une jeune femme que Laverdure démarche à domicile.

– On croise en suite avec Carole Fuller directrice de Delta Airline la modèle de la femme manipulatrice et transgressive dont la Lady X de Buck Danny constitue l'achétype.

– Elle porte un tailleur masculin (P 23).

– Elle fume un cigare (P 24 2/1, 2).

– Elle joue un double jeu vis à vis des héros

Ce rôle de femme trangressive et vénéneuse est repris par le personnage de Sheeba espionne libyenne qui incarne le rôle de méchante absolue dans les 2 épisodes suivants.

On peut remarquer la permanence d'une grammaire graphique dans la vision de la femme :

– Les méchantes sont incarné par des brunes

– Les blondes sont plutôt du coté du bien.

Cette opposition Brune / Blonde s'amorce dès le début de l'épisode, au sein du trio des fiancées de Laverdure (1 blonde, I rousse, 1 brune).

– La blonde apparaît comme une écervelée.

P 2 3/2 :

La blonde : « Le sacripant !... Et mon gâteau ! Je ne peux pas le remporter, mon docteur m'interdit la crème fouettée ! »

– La brune a l'idée de la vengeance.

P 3 2/1 :

La brune : « Avec les vœux de l'amicale des fiancés de Laverdure !... » (elle lui balance un gâteau à la figure)

– Plus tard elle trahit les héros en transmettant leurs recherche d'emploi au chef des services secrets (P 7 & 8)

– Le personnage de Natacha Kramer blonde ne fait pas exception à la règle malgré sa trahison :

– Sa rencontre avec les héros se fait sur le mode de l'orpheline perdu que les héros s'empresse de secourir (P19 & 20).

– Elle intègre ensuite le groupe héroïque.

P 30 1 /3 :

Natacha : « Michel !... Désolé de vous appeler si tard... Mais peut-être ne le savez-vous pas, je pars avec vous comme hôtesse !... Je suis folle de joie !... »

– Elle fait ensuite preuve de courage et semble même prendre en charge l'aventure, alors que les héros, Tanguy et Laverdure n'agissent que contraints et forcé (P 42 – 46 Elle se rend chez les rebelles toubous pour rencontrer l'otage Muriel Aspern)

– Elle se charge de convaincre les héros et les rappelle à leurs devoirs.

Opération Tonnerre P 14 2/2 :

Natacha : « Michel !... Ils ont raison !... N'abandonnez pas Muriel !... Sans vous, sans Ernest, elle est perdue ! »

– Sa trahison ne semble du qu'au fait qu'elle est agent d'une puissance étrangère et même dans sa trahison elle reste humaine.

« Opération Tonnerre » P 42 2 / 2, 3 :

Natacha : « Ce stylo est un pistolet à air comprimé ! Mon cher Ernest !

Laverdure : Du... Du... poison ! …Une aiguille !

Natacha : …seulement un anesthésiant foudroyant ! ...Dodo Ernest ! »

face aux reproches de Tanguy et Laverdure elle se défend :

« Opération Tonnerre » P 43 4 / 2 :

Tanguy : « Nous vous aurons sacrément tiré les marrons du feu, hein !!

Natacha : J'ai pris ma part de risque non ? »

et proteste de sa bonne foi.

« Opération Tonnerre » P 44 2 /2, 3 :

Tanguy : « Tes chefs ne laisseront pas la vie à des témoins aussi gênant que nous !

Natacha : Je vous jure que je vous obtiendrai la vie sauve ! »

Attitude chevaleresque si on la compare à celle de la brune Sheba :

« Plan de vol pour l'enfer » P 24 2/1 :

Sheba : « Écoute bien, le frankaoui !... Si jamais tu m'as piégée, tant pis pour vous tous ! Fichue pour fichue, JE FAIS EXPLOSER L'AVION !! »

La noirceur de Sheba est renforcé par son association avec un complice (Werner) doté d'un langage aux résonance germanique que l'on peut sans peine assimilé à un ancien nazi comme en témoigne le terrible plan qu'il combine pour arracher ses secrets à la malheureuse Muriel.

« Plan de vol pour l'enfer » P 41 3/2 :

Werner : « Pour la frime nous avons même deux vrais médecins ! Des SPÉCIALISTES ! Capables d'arracher des confidences même à une pierre ! Ya ! Ils confesseront votre amie ! Ça lui évitera les risques d'un transfert !... Mais pas ceux d'une maladie tropicale mortelle... après aveux bien entendu ! »

Sa noirceur s'illustre aussi par la transgression qu'elle opère non seulement elle est au service d'une puissance non européenne, la Libye du colonel Khadafi à l'époque identifié au camps du bloc de l'est) mais pour parvenir à ses fins elle séduit et entretient une relation avec le chef rebelle Hassan Koubré (« Plan de vol pour l'enfer » P17 4/1). Construction dramatique qui renvoie au fantasme occidentale de l'homme noir un prédateur sexuel de la femme blanche.

« Plan de vol pour l'enfer » P 17 4/1 :

Sheba : « J'ai gagné sa confiance !! … D'autant qu'il était tombé amoureux fou de moi !... J'ai feint les mêmes sentiments et j'ai accepté de le suivre sous ce déguisement !... A cause de ses hommes ! HAHAHA !!! »

Sa noirceur semble s'expliquer par ses origines qui font d'elle une écartelé entre deux cultures elle est « fille d'un ancien colon italien et d'une libyenne du sud ».

Face à la noirceur de Sheba, Natacha opère sous l'influence de Tanguy un revirement qui la ramène dans le camps du bien (« Plan de vol pour l'enfer » P 20).

Le personnage de la blonde aventurière traitresse à sa cause apparaît déjà dans le personnage d'Ulla dans les épisodes du diptyque précédent (« Mission dernière chance » et « Un DC 8 a disparu ») à cette différence qu'Ulla s'ancre bien plus profondément dans le camps du mal, sans rédemption possible.

La typologie féminine se complète avec le personnage de Muriel Aspern qui constitue à la fois l'enjeu de l'aventure et qui personnifie la victime.

Vision du héros :

Le récit semble mettre en scène la déstructuration du modèle héroïque, Tanguy et Laverdure sont totalement dépossédés de l'aventure qu'ils subissent de bout en bout.

– Ils ne choisissent pas de s'engager dans l'aventure mais y sont contraint malgré eux.

– Tout au long de l'aventure ils ne cessent de vouloir se dégager d'une équipée dont ils ne parviennent pas à déterminer les tenant et les aboutissants.

– Ce n'est qu'à la fin de l'aventure que confronté à une situation plus manichéenne qu'ils s'impliquent de manière réellement active dans l'aventure.

cette dégradation du modèle héroïque va de paire avec la faillite d'une idéologie missionnaire en se rendant en Afrique Tanguy et Laverdure ne remettent pas en question les clichés du regard que porte l'occident sur l'Afrique mais dresse le constat de la faillite héroïque. La présence des blancs en Afrique ne correspond pas à une mission éducative et civilisatrice mais à un pillage organisé des grandes puissances.

Le duo héroïque Tanguy et Laverdure se trouve dédoublé durant une large part du récit par le duo Tarnier et Vogel qui apparaissent souvent comme moteur d'action et qui apparaissent comme des négatif des héros auxquels ils ressemblent par ailleurs (1 blond et 1 brun). Tarnier complète le groupe héroïque (qui prend la forme classique du trio) à la fin de l'aventure (« Plan de vol pour l'enfer » P 30-46).

Vision des noirs :

Le ton de l'aventure reste globalement conforme à celle d'une histoire blanche. L'essentiel des protagonistes sont blanc. Les noirs sont réduit au rôle de figurants.

– Natacha

– Sheba

– Werner

Les rebelles toubous du Tibesti qui détiennent Muriel Aspern sont présenté comme des brutes arriérées qui pour être efficace doivent être dirigé par un blanc (Sheba déguisé en homme). Leur apparence trahit leur désir d'imiter les blancs.

– L'adjoint du chef des rebelles Ndjalemi Hallil porte des lunette et proclame qu'il a fait des études de sociologie à Paris (« La mystérieuse escadre delta » P39 4/1).

– Le chef Hassan Koubré porte treillis et casquette d'officier, Natacha réussi à le duper en jouant sur sa vanité.

« La mystérieuse escadre Delta » P46 1/1:

Sheba (déguisé) : « J'ai pris une douzaine de clichés chef !... Mais c'est imprudent !... Ils peuvent servir à localiser notre base !...

Hassan Koubré : Pas de danger !... J'ai choisi moi même l'angle de vue !... Ces photos nous imposeront aux yeux du monde entier !...

Natacha : Tous les journaux se les arracheront !... Ce sera votre meilleure propagande !... (en pensée) Ouf !... Sans la vanité de Hassan Koubré, je ne ramenais pas ces précieux clichés !... »

– Vernis de civilisation qui découle d'une logique imitative et qui ne masque pas une cruauté qui le rattache au schéma du noir cannibale.

« La mystérieuse escadre Delta » P46 2/2 :

Hassan Koubré : « HUIT JOURS !... PAS PLUS !... Ha ! Ha ! Ha !... Si passé ce délai, les armes ne sont pas là, je vous envoie sa tête coupée comme souvenir !... »

– Les toubous se font berner par les blancs qui multiplient les ruses en jouant sur leur naïveté pour leur arracher leur otage, ruse dont la brune Sheba n'est pas dupe (elle se cache dans l'avion quand celui ci décolle au nez et à la barbe des rebelles).

« Plan de vol pour l'enfer » P39 4/3 :

« Or, au même instant, à bord du DC 4. La porte des toilettes s'entrouvre...

Sheba (déguisé) : Tout va bien ! Les français ne se sont pas aperçus de ma présence !!! »

La représentation des noirs correspond, dans un registre plus réaliste, à celle que met en scène le « Tintin au congo » d'Hergé (cf : Apostolidès 19-20).

L'utilisation de cette typologie raciale se double d'un propos politique assimilant les rebelles à une guérilla marxiste.

– Hassan Koubré porte un pantalon rouge (« La mystérieuse escadre Delta » P46 1/1)

– Son adjoint Ndjalemi Hallil arbore une coiffure afro et revendique des études de sociologie à Paris (« La mystérieuse escadre Delta » P39 4/1) discipline fréquemment assimilée durant les années 70 à un viviers de contestation marxiste et tiers mondiste.

– Les rebelles affichent un mépris de l'argent et des devises occidentales.

« La mystérieuse escadre Delta » P 40 4/4 :

Sheba (déguisé) : « Qu'est ce que vous voulez qu'on en foute de votre milliard de papier !... Des papillotes !... Regardez !!!... »

Procédés d'assimilation entre deux type de référence classique que de nombreux auteurs on précédemment utilisé notament à travers le cas de l'assimilation nazis / communistes.

Le fidèle serviteur :

Le rôle de dévoué de fidèle et dévoué serviteur est occupé par Lakhba qui porte un turban et dont la face buriné adopte un teint cuivré qui le distingue des autres noirs et le rapproche des blancs. Les méchants les plus sophistiqués sont incarné par des blancs, il se rapproche du modèle de l'auxiliaire Hindou tel qu'on le trouve précédemment dans plusieurs séries (« Blake et Mortimer », « Luc Orient ») cf: Fiche vision des noirs, plus proche de la nature que les blancs sophistiqués et modernisé il leurs apporte sa connaissance du terrain qui va permettre de localiser le repère des rebelles même si la technique blanche doit prendre le relais (« Opération tonnerre » pp 16 & 17) pour finaliser l'information.

« Opération tonnerre » P 17 1/1, 2 :

Tarnier : « Commandant Daval, pouvez-vous évaluer la distance qui sépare cette montagne du point où a été prise cette photo ?

Daval : Approximativement !... Mais notre attaché militaire est un spécialiste de le télémétrie ! // Il nous renseignera exactement !... »

Un exposé de géo politique (cf : Enlèvement de F. Claustre) :

L'album s'inscrit dans un contexte géo politique précis :

– Les pays évoqués n'ont plus rien d'imaginaire, le Tchad et d'autres pays africains constituent plus qu'un arrière fond (contrairement aux aventures précédentes du duo qui mettait en scène l'émirat fictif du Sarrakat).

– Le scénario du triptyque s'appuie sur l'évocation d'un fait réel impliquant la politique internationale de la France.

– Enlèvement de l'ethnologue Françoise Clause par la rébellion Tchadienne, incarné par le personnage de Muriel Aspern.

– Présence militaire de la France auprès de l'état Tchadien qui s'exprime à travers deux exemples symboliques:

La légion étrangère

L'avion « Jaguar » (On a pu parler de ''politique du Jaguar'' concernant la politique militaire de la France en Afrique.

– Opération militaire de la France pour libéré F. Claustre (commandant Galopin).

– Le récit fait également référence à la situation géo politique de plusieurs pays africains.

– On apprend ainsi que le Nigeria fait partie de la sphère d'influence soviétique son aviation militaire est équipé de Mig 21 (« Opération Tonnerre P 3/1).

– Que le Ghana est doté d'un état assez laxiste et sert de plaque tournante à divers trafics, incarné entre autre par le trafiquant Farakian au traits sémitique.

« Opération tonnerre » P 15 3/2 & 4/1 :

Vogel : « Il était temps de filer ! Les Tchadiens ont déposé plainte et émis un mandat de recherche international contre nous !...

Tanguy : Hein ?... Mais nous allons être arrêtés en nous posant au Ghana !

Vogel : Aucun danger !... Les autorités Ghanéennes ont trop le sens du commerce !... Et nous avons changé tous les papiers de l'avion !... »

– On remarque également plusieurs allusion aux conflits néo-coloniaux.

– Le chef du commando est un ancien du Katanga.

« Opération tonnerre » P 24 1/ 2 :

Tarnier : « Avant nous serons allégés de nos passagers ! Voici leur chef : Le commandant Jef Van Aerts un ancien du Katanga !... »

– Les membres du commando sont des mercenaires Rhodésiens et Belges.

– Le DC 4 a servit à ravitailler la rébellion du Biafra.

L'ensemble de l'aventure met en jeu une opération des services secrets français dans leur champs d'action africain de manière très réaliste.

Une réécriture fictionnelle.

L'appui sur cet arrière fond réel ne débouche pas sur une reconstitution fidèle. L'aventure s'attache au contraire à réécrire l'actualité dans un sens conforme à celle d'une geste héroïque procédé conforme aux séries d'avant guerre (« Le sceptre d'Ottokar ») encore présent au début des années 50 (« Ciel de Corée »).