Il y a les fictions qui ennuient. Et puis il y a celles, comme Opportunités, qui ennuient délibérément : c’est-à-dire que pendant un long moment il ne se passe rien ; alors un léger frémissement laisse espérer un peu d’action ; puis le soufflé retombe et il ne se repasse rien, mais un peu moins longtemps que la première fois ; et un nouveau rebondissement ranime un récit qu’on croyait endormi ; l’accalmie suivante est de celles qui précèdent les tempêtes – jusqu’au bouquet final où tout explose et qui justifie rétrospectivement tout l’ennui éprouvé jusque là.
J’éviterai de donner plus de détails, pour ne pas divulgâcher le plaisir de ceux qui craignent les spoilers. Qu’il suffise de savoir que ce vingt-quatrième volume, dans ses vingt et quelque dernières pages – en gros, dans le numéro 144 de l’édition mensuelle, que les scénaristes ont judicieusement intitulé « … » – réussit à donner plus d’épaisseur au personnage d’Alpha que n’en ont jamais eue Denise, Ézéchiel ou Dante. À la question posée par Rick, et que se pose sans doute le lecteur, « Bon Dieu, tu y crois vraiment, à ces conneries » (p. 120), Alpha ne répond pas. C’est qu’elle joue au moins double jeu, renvoyant feu Spencer au statut de Ganelon de sous-préfecture et ferait même passer le Dwight des volumes 19 et 20 pour un paisible agent double de troisième zone.
Avant cela, elle avait balancé à Rick ce qui sautait aux yeux de tout lecteur : « J’ai parcouru vos rues, c’est une blague. […] / Tu crois avoir accompli de grandes choses, mais quand je regarde, tout ce que je vois, ce sont des enfants qui jouent à la dînette » (p. 119). Ce faisant, non seulement les vingt dernières pages d’Opportunités justifient les cent dix premières, mais c’est l’album entier qui justifie les deux précédents. Bien sûr, la meneuse des chuchoteurs / quislings a tiré de ses observations des conclusions que le lecteur ne doit pas partager s’il veut échapper à l’alternative entre d’une part la vie sauvage, de l’autre la combinaison bureau-télévision-bagnole. En attendant, il est parfois bon de rappeler ces choses.
On aurait pu en rester là ; c’était déjà pas mal. Mais les chuchoteurs ne sont pas qu’un nom, et la demande qu’Alpha chuchote ensuite à Rick, mêlée à ce qu’elle a fait, peut bien nourrir trois bons futurs volumes sans que cela sente le moins du monde l’artifice.
On en oublierait presque les libertés que Walking Dead prend avec sa géographie et qui font grincer la machine dès qu’il est question de temps de trajet !
Critique du tome 23 ici, du 25 là.